L'art de l’embourgeoisement à Paris

 La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, 1830.


La seule fonction radicale pour l’art que nous connaissons est celle proposée par Bakounine au cours de l’insurrection de Dresde de 1849 quand il préconisait, sans succès, de sortir les peintures des musées et de les poser sur les barricades à l’entrée de la ville pour voir si elles pourraient stopper le feu des soldats arrivant sur elles.

The Occupation of Art and Gentrification, in « No Reservation », Londres, 1989

Abolition des musées, et répartition des chefs-d’oeuvre artistiques dans les bars (l’oeuvre de Philippe de Champaigne dans les cafés arabes de la rue Xavier-Privas ; le Sacre, de David, au Tonneau de la Montagne-Geneviève).

Projet d’embellissements rationnels de la ville de Paris
Potlatch , bulletin d’information de l’internationale lettriste.
n° 23 – 13 octobre 1955



Nous publions ici, un extrait du dossier Gentrification, urbanisme et mixité sociale du journal anarchiste Non Fides N°III, paru en 2009, concernant l'embourgeoisement du 19e arrondissement de Paris, où se dresse aujourd'hui le centre culturel le « 104 ». Quand la culture et l'art se mettent au service de la destruction d'un quartier populaire ; quand des artistes acceptent d'y participer : Dans cette guerre sociale, le pinceau peut remplacer la matraque et la matraque peut remplacer le pinceau. Les prétendus « artistes » s’avèrent être (encore une fois) de bons alliés pour les élites économiques, ils sont appelés à grand renfort de modes préfabriquées par l’intermédiaire des médias pour tenter de nettoyer les quartiers populaires de toute possibilité d’explosions sociales. 


Affiche de 2004 et signée du Collectif d’Autodéfense Sociale du 18e arrondissement de Paris, in NON FIDES n°III.


Chronique ordinaire de la gentrification

dans le 19e arrondissement de Paris


Anciennement service municipal des pompes funèbres de Paris, le 104 rue D’Aubervilliers dans le 19e arrondissement de Paris a été restauré. Il a réouvert ses portes le 18 octobre 2008 sous le nom de « Cent quatre » pour y accueillir un projet culturel d’envergure de la mairie de Paris. Le 104, c’est plus de 200 artistes en résidence, 39.000 M2 de surface et un budget de 8 millions d’euros de subventions par an pour la mairie de Paris. C’est aussi plus d’une centaine de millions d’euros payés conjointement par la mairie (encore), mais aussi en échange de reconnaissances commerciales, par une dizaine d’investisseurs (quelques multinationales reconverties dans le mécénat comme Mitsubishi) pour financer les travaux d’envergures. L’équipe commerciale du 104 attend pour l’année 2009 un peu moins d’un million de visiteurs dans ce lieu pouvant simultanément contenir 5000 personnes, encadrés par une soixantaine de permanents.


Le 19e arrondissement est un quartier populaire comme aiment à le rappeler les centquatreux. Le quartier de Flandre où s’est installé le 104, c’est une moyenne de 20% de chômage (12% dans Paris) et 60% de logements sociaux contre 19,7% dans le reste de Paris. Selon le co-patron du 104 Frédéric Fisbach, « le Cent quatre est aussi un projet social, un microquartier ouvert sur la ville. Ainsi, à partir de 2009, on y trouvera un café, un restaurant, une maison des petits, une librairie... Dans cette “rue” occupée par des artistes, on pourra marcher, s’asseoir, discuter, consommer. On croit à l’insertion sociale par la culture et on espère que ce sera un lieu de foisonnement ».

La « culture » pourtant si chère aux élites et aux urbanistes n’apporte pas le logement décent, elle ne donne pas des papiers, elle ne donne pas à manger à la fin du mois, elle n’essuie pas la sueur et ne paye pas mieux les travailleurs exploités, ni ceux qui tentent de résister à l’enfer du travail. Leur culture ne prémunit pas contre le harcèlement policier (racket, contrôles au faciès, tabassages, arrestations, rafles, mépris…), ni contre le harcèlement des huissiers et des proprios (expulsions, saisie des biens des pauvres…), elle n’offre pas un toit à ceux qui vivent à la rue, dans les foyers. Elle n’adoucit pas le contrôle des agents de mort de l’ANPE, ni de la justice anti-pauvres. Ce n’est pas de « marcher, s’asseoir, discuter, consommer » dont nous avons besoin. Nous ne voulons pas être la caution morale de quelques bourgeois complexés par leurs ressources familiales venus chez nous comme dans un zoo humain pour s’encanailler au contact des « classes dangereuses ».

Le 104 participe d’une logique plus globale de restructuration des quartiers du Nord-Est Parisien : Chasser les pauvres au-delà du périphérique, installer de nouveaux outils de contrôle et de nouvelles populations plus « correctes ». C’est à dire payant plus d’impôts, consommant plus, bio et mieux, rentabilisant les marchés de l’immobilier et des services de luxe. Une population qui n’aura plus aucune raison (ou presque) de se révolter ou de troubler l’ordre publique. Une population qui assurera le bon déroulement de l’exploitation en achetant la paix sociale à grand coup de marchandises.
Du 104 aux quais de seine en passant par la Villette et le jardin d’Éole, ils veulent faire du 19e un quartier propre : Expulsion des squats et des pauvres sous des prétextes fallacieux (insalubrité) et hausse des prix de l’immobilier repoussant les pauvres un peu plus loin dans les ghettos qui leur sont destinés, transformation des marchés populaires en marchés bio-équitables pour population aisées et soucieuses de leur bien-être, transformation du mobilier urbain en répulsif anti-SDF, tentatives d’étouffement des contestations. C’est aussi plus de caméras pour assurer ce même bien-être des nouvelles populations abreuvées tout les jours à 20h des discours sécuritaires sur le 19e, cette « zone de non-droit à feu et à sang ». Le 104 et les divers grand chantiers récents de la mairie de Paris, c’est aussi un regain de l’occupation policière du quartier, ceci afin d’assurer la pacification des rapports conflictuels que pourraient engendrer les différences de richesses entre visiteurs (du 104 par exemple) et habitants du quartiers.

Dans cette guerre sociale, le pinceau peut remplacer la matraque et la matraque peut remplacer le pinceau. Les prétendus « artistes » s’avèrent être (encore une fois) de bons alliés pour les élites économiques, ils sont appelés à grand renfort de modes préfabriquées par l’intermédiaire des médias pour tenter de nettoyer les quartiers populaires de toute possibilité d’explosions sociales. Heureusement que leur efficacité laisse souvent à désirer : les tentatives de pacification de l’espace urbain par les immenses barres HLM (les orgues de Flandre, la cité Curial...) ont toutes plus ou moins capotées, les élites sont donc passées à de nouvelles techniques plus sournoises, plus radicales : l’occupation du territoire par la « culture ». Toutefois, cela n’a jamais complètement empêché pas les gens, de ci de là, de se révolter.

Mais de quelle culture parlons nous ? cette « culture » unidimensionnelle qui n’est autre que la culture bourgeoise, se veut unique et hégémonique. Ces apôtres de la culture savante que sont la mairie de Paris, les investisseurs du 104 et les artistes, viennent dans le 19e pour apporter la bonne parole, la bonne culture, la vraie, celle qui se marchande et dont les goûts sont malléables à merci par l’économie de marché et les effets de mode marketing. Seulement, donner du pain et des jeux aux pauvres (ou fabriquer une « rue » où l’on peut admirer des artistes inspirés en plein travail) ne les empêchera pas de résister comme ils le font déjà.

Partout dans le Nord-Est Parisien des liens de solidarité se tissent, des comités de mal-logés s’organisent ; des habitants du quartier se réunissent pour empêcher les expulsions de sans-papiers et enrayer la machine à expulser ; Des guets-apens fragilisent l’occupation policière du quartier ; Des collectifs de précaires, de chômeurs, de SDF se mobilisent ; des résistances aux expulsions locatives se manifestent ; ainsi que d’innombrables autres viviers… Autant de résistances aux attaques incessantes du pouvoir. Lui faire comprendre que la cohabitation des pauvres et des riches, le mythe de la mixité sociale, ne se déroule pas au bénéfice de la figure christique du pauvre, nous ne voulons pas de cet humanisme condescendant, ni de de votre arsenal répressif.
Mais merci quand même.

« Demander est un verbe qui porte malheur. » 
Louis Scutenaire - Mes inscriptions III

Alors détruisons ce qui nous détruit !



Extrait du dossier "Gentrification, urbanisme et mixité sociale" de Non Fides N°III. Mars 2009.



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