ISTANBUL : Luttes Urbaines et Oppositions Politiques


Clémence Petit

Engagement militant et politisation
des mobilisations au sein des
oppositions urbaines à Istanbul

EchoGéo | numéro 16 | 2011

Tout au long de l’année 2010, Istanbul a célébré son statut de « Capitale Européenne de la Culture ». Outre le soutien de nombreux projets culturels et artistiques, l’Agence 2010 créée pour l’occasion avait en charge le développement du tourisme à Istanbul et la mise en oeuvre de projets de protection du patrimoine architectural [1]. Et c’est précisément la « Direction des projets urbains » qui a été le principal bénéficiaire du budget alloué par l’Union européenne, les administrations publiques turques (en particulier le Ministère de la Culture et du Tourisme) et plusieurs investisseurs privés. Mais si de nombreux projets de « restauration » ont ainsi été financés dans le cadre d’Istanbul 2010, l’événement a également joué un rôle de catalyseur pour des projets de rénovation urbaine consistant à transformer radicalement le tissu urbain et social de quartiers entiers, aussi bien dans les zones centrales historiques « dégradées » que dans les quartiers périphériques « informels ».





2 Les milieux dirigeants d’Istanbul ont en effet depuis plusieurs années la volonté de faire d’Istanbul une métropole attractive et compétitive sur la scène internationale pour attirer les investisseurs et touristes étrangers. Cette « mise aux normes internationales » se traduit par la délocalisation des activités industrielles au profit des activités culturelles, touristiques et financières, la multiplication des grands projets d’équipement et l’organisation d’événements sportifs et culturels internationaux (Pérouse, 2007). Ces ambitions internationales justifient également la mise en oeuvre d’une « politique de transformation urbaine » (kentsel dönüşüm) qui consiste à modifier par des interventions lourdes un tissu urbain hérité d’une urbanisation rapide, incontrôlée et « disgracieuse » : des quartiers entiers sont ainsi détruits pour construire des équipements et logements « modernes » dignes d’une ville mondiale. Sont visés par cette politique les anciens quartiers d’habitat informel (appelés gecekondu) érigés dans les années 1945-1985 puis verticalisés au gré des amnisties des années 1980 et aujourd’hui intégrés à l’aire urbaine (Pérouse, 2004), les zones industrielles rendues désuètes par la politique de tertiarisation et de financiarisation de l’économie stambouliote, ainsi que les quartiers « dégradés » du centre historique et les zones à « risque sismique » [2].


Illustration 1 - Les quartiers touchés (orange foncé) et les quartiers menacés (orange clair) de destruction et relogement dans le cadre de la transformation urbaine d’Istanbul

3 La multiplication rapide des projets de transformation urbaine (PTU) à Istanbul et les destructions et relogements massifs qu’ils prévoient ont fait naître d’importantes critiques et oppositions dans les quartiers concernés ainsi que dans certains médias, universités et chambres professionnelles. L’originalité de ce mouvement de contestation tient à la remobilisation d’acteurs existants et à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles formes de mobilisation. Les mouvements de résistance des habitants – dont Jean-François Pérouse démontrait en 2005 le caractère majoritairement localisé, spontané, ponctuel et apolitique – se multiplient et se structurent plus souvent autour d’organisations locales stables ; ils tendent par ailleurs à s’inscrire dans une mobilisation qui dépasse l’échelle locale, notamment dans le cadre de plateformes d’associations de quartier. Par ailleurs, des acteurs extérieurs aux « zones de transformation » (dönüşüm alanları) se sont rassemblés pour créer plusieurs mouvements d’opposition aux PTU et de soutien aux victimes ; ils ont également activement participé à la mobilisation des chambres professionnelles et à la création de « plateformes » rassemblant autour de causes communes les différents acteurs des « oppositions urbaines » [3]. Il s’agit principalement de jeunes « professionnels urbains » (étudiants, jeunes diplômés et enseignants en architecture, urbanisme et sciences sociales de l’urbain) [4] qui sont multipositionnés (universités, chambres professionnelles, services d’urbanisme des mairies, médias) et se situent à gauche voire à l’extrême-gauche de l’échiquier politique.

4 Les mobilisations contre la politique de transformation urbaine apparaissent comme l’occasion pour ces acteurs étrangers aux quartiers d’investir les mouvements de contestation locaux et de profiter des ressources que leur procure leur multipositionnalité pour prendre part à la définition des problèmes posés par les politiques publiques locales et contribuer à l’élaboration d’un modèle alternatif de développement urbain et d’urbanité. Malgré la similarité de leurs parcours et de leurs ressources, l’investissement de ces professionnels urbains se fait néanmoins sur un mode concurrentiel et le caractère politique de la mobilisation reste l’objet d’un débat récurrent. Les oppositions urbaines sont en effet divisées sur la question du répertoire et de la stratégie d’action : certains défendent une mobilisation experte visant à accroître la capacité d’action des organisations locales et à promouvoir la participation des habitants à l’élaboration et à la mise en oeuvre des PTU quand d’autres appellent de leurs voeux des actions destinées à politiser les mouvements locaux et à conduire à une transformation de l’ordre urbain et politique. De plus, si les militants protestent explicitement contre les pouvoirs publics et les élus locaux qui mettent en oeuvre les PTU [5], la politisation du mouvement fait régulièrement l’objet de débats voire de contestations au sein des différentes associations de quartier et des mouvements eux-mêmes.

5 Cette contribution vise à interroger les luttes et jeux d’acteurs relatifs à la place et à la définition du « politique » dans les oppositions urbaines à Istanbul, alors que la politique et la politisation de l’action collective restent aujourd’hui encore illégitimes en Turquie. En effet, la très dure répression et le caractère « sécuritaire » du régime mis en place à la suite du coup d’État du 12 septembre 1980 ont profondément modifié les pratiques du militantisme et le rapport au politique des acteurs (Dorronsoro, 2005 ; Massicard, 2010). Considérés comme une menace pour la sécurité et l’unité de la nation, les comportements protestataires restent criminalisés et réprimés, faisant peser de lourdes contraintes sur l’action collective mais aussi sur les intellectuels et les chambres professionnelles (Bora, 2000 ; Monceau, 2005). De plus, les associations et mobilisations collectives font l’objet d’un stigmate politique particulier dans les quartiers ‘gecekondu’, justifié par l’histoire politique locale de ces quartiers, la mémoire des « luttes urbaines » des années 1970 auxquelles participaient également des professionnels urbains politisés et la présence encore forte dans certains de ces quartiers d’organisations de la gauche radicale illégale (Aslan et al., 2010 ; Le Ray, 2004) [6]. Enfin, des contraintes pratiques de représentativité et de participation conduisent les leaders des organisations locales à afficher publiquement leur distance au politique afin d’éviter les divisions internes et de s’assurer une plus grande légitimité (Massicard, 2005).

6 Plusieurs travaux récents ont néanmoins mis en lumière les « formes alternatives de construction du politique » au sein des mobilisations habitantes locales, des associations de quartier et des associations d’originaires, pourtant réputées apolitiques voire dépolitisantes (Le Ray, 2004 ; Pérouse, 2005) [7]. Ils s’intéressent aux raisons de cet évitement du politique et aux représentations sociales associées au « politique » ; apparaissent ainsi les ambiguïtés du processus de construction du rapport au politique et de la requalification politique des mobilisations locales (Hersant, 2005 ; Massicard, 2005 ; Yücel, 2005). S’ils montrent les recompositions de l’habitus politique et les « virages » pris par les carrières politiques, militantes et sociales des acteurs à la suite du coup d’État de 1980, ces travaux indiquent également que le régime militaire de 1980-1983 gagne à être considéré comme une « parenthèse » plutôt que « l’année 0 » du système politique turc contemporain (Massicard, 2007), sous peine de sous-estimer le poids des expériences de mobilisation sociale, partisane et syndicale préexistantes en termes de mémoire, de ressources et de réseaux. Enfin, les conditions de la politisation des mobilisations collectives ont certainement été affectées par l’évolution rapide et profonde du contexte politique turc et international depuis une dizaine d’années : l’accession au pouvoir en 2002 de l’AKP (le Parti pour la Justice et le Développement, islamo-conservateur), l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne en 2005, le choix d’Istanbul comme Capitale Européenne de la Culture en 2010 et la venue à Istanbul d’organisations civiles de nombreux pays dans la cadre du Forum Social Européen (FSE) en juillet 2010 ont contribué à diminuer les contraintes ou du moins offrir des opportunités juridiques, discursives et politiques nouvelles aux acteurs des mouvements urbains stambouliotes.

7 Ces modifications récentes du système politique ne suffisent pas néanmoins à expliquer la multiplication et la diversification des mouvements contestataires, l’engagement de nombreux professionnels urbains pour cette cause et une politisation certes partielle et parfois contestée mais pourtant réelle des enjeux de la mobilisation. Les contraintes propres au régime sécuritaire ont en effet été intégrées par les acteurs, dont l’habitus politique a été profondément modifié (Dorronsoro, 2005). De plus, les quartiers de gecekondu continuent à faire l’objet d’un contrôle policier et d’un traitement médiatique particuliers, comme en témoignent les récents articles de presse et reportages télévisés consacrés aux opérations de démolition, aux PTU et aux actions de protestation des habitants. Dans ces conditions, pourquoi les acteurs s’engagent-ils contre la transformation urbaine et comment gèrent-ils les contraintes qui pèsent sur eux ? Dans quelles conditions et selon quelles modalités s’opère le travail de redéfinition du politique et de ses frontières dans ce contexte particulier ?

8 Afin de proposer une analyse des processus de politisation de cette opposition urbaine qui tienne compte des contraintes conduisant les acteurs à rejeter le politique ou à faire de la politique en la niant (Vairel, Zaki, 2007) ainsi que des inégalités de capital qui les caractérisent, il apparaît nécessaire de s’éloigner d’une définition de la politisation comme « requalification des activités sociales » en ressources pour agir dans l’univers politique institutionnel et partisan (Lagroye, 2003). Avec Lionel Arnaud et Christine Guionnet (2005), nous considèrerons plutôt ici comme politique l’univers « perçu et construit comme spécifiquement « politique » par les acteurs sociaux » ; ce positionnement nous conduit à concevoir la politisation comme un processus dynamique de construction permanente des frontières entre politique et apolitique, d’étiquetage et de mise en scène de la différenciation ou de la l’interpénétration entre différents univers. Étudiant des acteurs détenteurs de ressources culturelles et politiques différenciées qui se mobilisent sur des scènes et à des niveaux multiples, nous souhaitons également rendre compte des variations du rapport au politique entre les acteurs des oppositions urbaines mais aussi en fonction des échelles et des contextes de mobilisation (Bennani-Chraïbi, 2007). En effet, comme le suggère Camille Hamidi (2006), il nous semble que le contexte d’interaction entre les différents acteurs des oppositions urbaines constitue un élément clef d’explication de ces variations.

9 À partir de l’étude du travail de définition opéré par les acteurs sur le cadrage, la stratégie et le répertoire d’action du mouvement dans lequel ils sont engagés et des débats que suscitent ces questions entre les mouvements, nous chercherons dans cet article à montrer que les appropriations concurrentes de la question de la « transformation urbaine » et les stratégies de politisation différenciées de la mobilisation par ses acteurs donnent lieu à des processus de typifications réciproques et des luttes de labellisation et de classement. Se structure ainsi progressivement un clivage au sein des oppositions urbaines qui contraint les acteurs à « choisir un camp » (Gourisse, 2007). Plus généralement, nous faisons l’hypothèse que les débats sur le caractère politique de la mobilisation peuvent être lus comme des luttes et jeux d’acteurs pour la définition du politique et de ses frontières dans le mouvement contre la transformation urbaine et, plus généralement, dans l’espace politique local. Qu’ils prennent position pour ou contre la politisation des mouvements contestataires locaux, tous les acteurs mobilisés cherchent à faire bouger les lignes politiques (en termes de schèmes et de rapports de force) pour influencer les décisions politiques, voire pour participer directement à l’élaboration des politiques publiques locales.

10 Pour le montrer, nous analyserons les ressources, les discours et les relations entre différents acteurs des oppositions urbaines. Nous illustrerons notre propos par l’étude de deux organisations locales – les associations de quartier de Gülensu-Güsluyu et Başıbüyük – et de deux mouvements de professionnels urbains – DA et IMECE. Les quartiers de Gülensu-Güsluyu et Başıbüyük sont inclus dans le plan voté en 2004 par la mairie d’arrondissement de Maltepe de transformation des zones de ‘gecekondu’ situées au nord de l’autoroute E-5 (cf. illustration 2). Fortement mobilisés contre le PTU, les deux quartiers présentent néanmoins une histoire politique différente : Gülensu-Gülsuyu est généralement présenté comme un quartier politisé où la population alévie est importante et qui continue d’héberger des organisations de la gauche radicale depuis les « luttes urbaines » des années 1970 (période de construction communautaire de la partie du quartier appelée Gülensu) ; Başıbüyük apparaît davantage comme un quartier conservateur dépourvu de tradition de mobilisation, et dont la résistance au début du projet en 2006 a en quelque sorte surpris les observateurs. Les mouvements DA et IMECE sont essentiellement composés de professionnels urbains qui se sont rassemblés au milieu des années 2000 pour soutenir les mobilisations de résistance locales et développer une alternative aux PTU mis en oeuvre par les pouvoirs publics ; ils symbolisent aujourd’hui les deux « pôles » du clivage qui structure les oppositions urbaines et par rapport auxquels se situent les autres militants et mouvements.


Illustration 2 – Les quartiers de Gülensu-Gülsuyu et Başıbüyük, situés au nord de l’autoroute E-5 dans l’arrondissement de Maltepe

11 Ces acteurs ont fait l’objet d’une enquête de terrain réalisée au printemps 2009 pour un mémoire portant sur la question de la politisation des mobilisations locales par des « entrepreneurs de politisation » extérieurs (Petit, 2009). Ce travail a ensuite été complété par une recherche plus large menée entre juin 2010 et mai 2011 dans le cadre d’une thèse de sociologie politique consacrée aux usages politiques par les acteurs publics et les mouvements sociaux de l’idée de « participation des habitants » aux PTU. Pour comprendre les interactions politiques et sociales entre les acteurs et contextualiser les processus de politisation étudiés, nous avons mobilisé des outils d’analyse « microsociologiques » (Sawicki, 2000) : près de 70 entretiens approfondis ont été réalisés (principalement en turc) avec des militants, des représentants des chambres professionnelles et des élus locaux (dont 13 avec des militants de DA, IMECE, Gülensu-Gülsuyu et Başıbüyük) ; nous avons observé de manière régulière les réunions hebdomadaires des mouvements et associations de quartier, les manifestations et forums sociaux organisés à Istanbul et de nombreuses conférences. Un vaste corpus de ressources et documents produits sur et par les mouvements locaux et les professionnels urbains a enfin permis de compléter l’analyse : il se compose de sites internet et listes de diffusion, notes de réunions et textes de déclarations de presse, manifestes politiques et documents de campagne, articles journalistiques et interviews, travaux scientifiques (articles, communications, mémoires et thèses), plans d’urbanisme et rapports municipaux, publications professionnelles, films documentaires et reportages photos.

12 L’article présente d’abord les dynamiques de (re)mobilisation des organisations de quartier et des professionnels urbains à travers l’exemple de Gülensu-Gülsuyu, Başıbüyük, DA et IMECE. Il étudie ensuite les processus de cadrage et les répertoires d’action de ces deux mouvements de professionnels urbains, avant d’analyser les étapes du travail de requalification politique du clivage qui les oppose au sein des oppositions urbaines. Il étudie enfin les effets politiques inégaux et ambigus de cette concurrence stratégique et politique entre un mouvement « expert » et une mobilisation politique révolutionnaire. Cette contribution propose ainsi une analyse des conditions et des modalités selon lesquelles les acteurs tirent profit de leur multipositionnalité et gèrent les contraintes qui pèsent sur eux afin de politiser les enjeux de la mobilisation contre la politique de transformation urbaine et d’infléchir les rapports de force politiques locaux. De manière plus générale, elle montre enfin le caractère dynamique, relatif et inégal des processus de politisation et permet d’illustrer certains aspects des transformations récentes du système politique turc contemporain.


L’émergence de mouvements d’opposition
durables et structurés

13 Nombreux sont aujourd’hui les individus et les organisations qui se mobilisent pour combattre les PTU à Istanbul, à la fois sur le terrain – en s’opposant notamment aux démolitions et au début des travaux de construction – et de manière plus générale, par un travail politique de publicisation et d’élaboration d’alternatives urbanistiques et politiques. L’opposition urbaine qui a ainsi progressivement émergé depuis le milieu des années 2000 dénonce notamment les conséquences sociales et économiques de ces projets d’inspiration « néolibérale » qui brisent des liens de solidarité anciens et conduisent à la paupérisation de populations déjà souvent en situation précaire en ne leur offrant que des logements très éloignés de leur quartier d’origine.

14 Le cadrage idéologique anti-libéral commun à ces mouvements cache néanmoins une importante diversité du point de vue des conditions et motifs de leur création, de leur composition et de leur fonctionnement interne, et enfin de leurs répertoires et de leur stratégie d’action. Avant d’étudier les interactions et débats entre les acteurs qui composent ces oppositions urbaines, nous présenterons successivement les deux principales formes de mobilisation contre les PTU – les mouvements de résistance locaux et les collectifs de professionnels urbains – en nous appuyant sur les exemples des quartiers de Maltepe et les mouvements DA et IMECE.


Les mobilisations habitantes locales : 
des histoires politiques différentes, 
des répertoires d’action similaires


15 Comme l’a montré Jean-François Pérouse dans un article consacré aux « micro-mobilisations habitantes», celles-ci visent avant tout à éviter les démolitions et le relogement qu’impliquent les projets de transformation urbaine. Elles s’organisent généralement autour d’une association locale, forme d’action collective traditionnelle dans les grandes villes turques liée à l’immigration massive et à l’urbanisation informelle. En effet, dans les quartiers auto-construits aujourd’hui visés par une opération de transformation, on trouve de nombreuses associations « de pays », lieu de sociabilité et d’entraide des individus originaires d’une même localité ou région (EJTS, 2005). Il existe aussi souvent une association de quartier dite « de solidarité et d’embellissement », qui a joué le rôle de moteur des actions collectives auprès des pouvoirs locaux menées pour l’obtention des services publics depuis la création du quartier et organise une forme de solidarité économique au sein du quartier à travers la distribution des bourses aux enfants des familles les plus pauvres et l’organisation d’événements tels que des tournois de football, des pique-nique et des concerts. En général moins actives au fur et à mesure que le quartier se développe et s’équipe, ces organisations de quartier sont remobilisées, reconverties et investies par de nouveaux habitants à l’annonce d’un projet de transformation urbaine.

16 C’est le cas de l’association locale de Gülensu-Gülsuyu – quartiers ‘gecekondu’du nord de l’arrondissement de Maltepe (cf. illustration 2) – qui s’inscrit dans une longue tradition de mobilisation dans et pour le quartier [8]. La première association a été créée à Gülsuyu par les premiers migrants arrivés dans les années 1950. Elle est remplacée dans les années 1970 par une organisation dirigée par des habitants plus politisés qui, dans un contexte de polarisation politique et de difficultés économiques accrues, ont présidé à l’extension du quartier vers la partie aujourd’hui appelée Gülensu avec l’aide d’étudiants en urbanisme bénévoles et de militants de mouvements socialistes, qui voulaient répondre au « droit au logement » de familles récemment immigrées et très pauvres. Cette association, acteur central de la résistance aux tentatives de démolition par les pouvoirs publics et du système d’entraide au sein du quartier, est fermée au moment du coup d’État de 1980 du fait de son caractère politique. Une nouvelle association est créée au début des années 1990 sous le nom d’Association Culturelle, d’Entraide et d’Embellissement de Gülensu-Gülsuyu. Ses dirigeants entretiennent des liens étroits avec les syndicats, soutiennent les grèves dans les usines de Maltepe et Kartal et se mobilisent notamment pour que le quartier soit relié au réseau de transport public. L’organisation est une nouvelle fois forcée à fermer ses portes sur décision judiciaire quelques années plus tard. Lors de sa réouverture en 2002, l’association de quartier se concentre essentiellement sur des activités sociales et culturelles locales, mais la situation change avec l’annonce d’un plan de transformation du quartier en 2004 : une nouvelle équipe est élue à la tête de l’association qui devient le moteur de la résistance locale. Des réunions de quartier ont lieu dans le local de l’association et les cafés du quartier pour informer la population, des représentants de rue et des comités de quartier sont créés, et de nombreux universitaires, intellectuels et artistes viennent soutenir l’association et les habitants.

17 Dans les quartiers où n’existe pas une telle tradition d’organisation locale et de mobilisation collective, la création d’une « association de quartier » est généralement le premier acte de la contestation d’un PTU par les habitants. On observe néanmoins que les habitants qui prennent la tête de la mobilisation et de l’association ont souvent un passé militant ou politique qui les y prédispose. Le quartier de Başıbüyük, également compris dans le PTU du nord de Maltepe (cf. illustration 2), est un quartier informel qui s’est développé à partir des années 1950 avec l’arrivée de migrants d’Anatolie centrale et n’a jamais connu d’importantes mobilisations politiques comme à Gülensu-Gülsuyu. L’organisation de quartier créée à l’initiative d’une cinquantaine de personnes après l’annonce du projet au début du mois d’avril 2006 était la première association locale destinée à représenter le quartier dans son ensemble. Mais les deux principaux entrepreneurs du mouvement, nommés président et président-adjoint de l’association, étaient respectivement ancien syndicaliste et affilié au CHP (Parti Républicain du Peuple, principal parti parlementaire d’opposition à l’AKP) et membre du MHP (Parti d’Action Nationaliste, troisième parti politique de Turquie). Après sa création, l’association de Başıbüyük a mené des actions de sensibilisation et de mobilisation classiques : récolte d’informations sur le projet et les recours possibles, réunion d’information à destination de la population locale, mobilisation de réseaux politiques et médiatiques et rencontre avec des élus locaux [9].

18 Aussi, bien que les quartiers touchés présentent des histoires politiques locales différentes, le profil des leaders des mouvements contestataires locaux et le répertoire d’action qu’ils mobilisent apparaissent très similaires d’un quartier à l’autre. Les associations locales font circuler des pétitions et organisent des marches et manifestations qui convergent généralement vers la mairie d’arrondissement, et des démarches juridiques sont souvent entamées pour faire annuler les plans d’urbanisme, en général avec le soutien des chambres professionnelles des architectes et des urbanistes (Pérouse, 2005). Ces actions de protestation se doublent d’une campagne de sensibilisation qui s’appuie sur un réseau de soutiens extérieurs généralement constitué de militants associatifs et politiques d’autres quartiers, d’universitaires et de professionnels engagés et de certains médias « de gauche »sensibles à ces questions. Lorsque les dirigeants associatifs sont positionnés dans le champ politique, il n’est pas rare qu’ils conduisent une délégation d’habitants à Ankara pour rencontrer des députés, comme l’ont fait ceux de Başıbüyük en 2006. Au niveau local, la mobilisation est rythmée par des réunions de quartier régulières auxquelles sont invitées des acteurs extérieurs (porteparole d’autres quartiers, professionnels urbains, avocats, élus locaux et journalistes). Les associations se posent ainsi en médiateur obligé entre les habitants, les pouvoirs publics et les acteurs extérieurs qui soutiennent la mobilisation, conférant à leurs dirigeants un statut social important dans le quartier.


L’engagement de professionnels urbains 
à l’origine de nouveaux « mouvements »

19 Les leaders des mouvements locaux ont donc mobilisé à partir de 2004 leurs réseaux afin d’accroître leur légitimité et leur audience auprès des pouvoirs publics et de potentiels soutiens politiques ou techniques. À l’inverse, de nombreux professionnels urbains informés de la multiplication des PTU et des mouvements de résistance locaux se sont progressivement rassemblés pour créer des mouvements de soutien et d’aide aux populations concernées. Pour appréhender cette forme d’action collective nouvelle, nous nous intéresserons à Dayanışmacı Atölye (DA, Atelier solidaire) et İMECE - Toplumun Şehircilik Hareketi (IMECE - Mouvement d’urbanisme de la société), deux mouvements principalement constitués de jeunes étudiants ou professionnels urbains employés dans le secteur public, le secteur privé ou à l’université, et qui se sont mobilisés dès le milieu des années 2000 auprès des premières mobilisations habitantes contre des PTU (à Ayazma, Sulukule ou encore Gülensu-Gülsuyu) [10].
L’étude de leur structuration, leurs ressources et leurs modes d’action permet de mettre en évidence les caractéristiques communes de ces collectifs de professionnels urbains et, dans la mesure où ces deux mouvements incarnent aujourd’hui les deux stratégies qui s’opposent au sein des « mouvements urbains », de comprendre les raisons de l’émergence progressive de ce désaccord bientôt transformé en clivage.

20 DA et IMECE sont nés de la volonté d’un petit groupe d’individus de faire entendre leur opposition à la politique de transformation urbaine, symbole des politiques locales d’inspiration « néolibérale » à l’origine d’une dynamique de ségrégation socio-spatiale à Istanbul. Appartenant au même milieu d’interconnaissance (des amis, des camarades de classe et/ou des professeurs d’un même département universitaire), ces militants présentent un profil semblable : de par leur formation universitaire et professionnelle (majoritairement en urbanisme et architecture, mais aussi en science politique, en droit ou en sociologie), ils possèdent un savoir et des savoir-faire relatifs aux questions urbaines. Pour la plupart étudiants ou jeunes diplômés au moment de la création du mouvement ou de leur engagement dans celui-ci, ils ont entre 20 et 35 ans, sont issus de la classe moyenne et sont généralement venus à Istanbul pour faire leurs études supérieures. Beaucoup ont étudié des PTU et des mobilisations locales pour leurs recherches de licence et master (lisans et yüksek lisans) et plusieurs poursuivent actuellement leurs études supérieures en doctorat, se dirigeant vers une carrière académique. Ils partagent enfin une sensibilité politique proche de la gauche radicale (ils se disent socialistes ou solcu, « gauchistes ») ; certains d’entre eux possèdent une expérience antérieure dans des organisations politiques, des syndicats ou des organisations de jeunesse.

21 Ils constituent le petit groupe de militants actifs de DA et IMECE (entre quinze et trente pour chaque mouvement), c’est-à-dire ceux qui participent de manière régulière aux réunions hebdomadaires et aux actions du mouvement (manifestations, rapports, réunions avec les organisations locales, etc.). Ils tirent également profit de leur multipositionnalité pour faire connaître leur mouvement et se faire le héraut des revendications des habitants mobilisés à travers des articles de presse, des communications scientifiques ou lors des élections professionnelles. À ces « membres actifs » s’ajoutent des « sympathisants » (McCarthy, Zald, 2009) qui sont tenus au courant des décisions prises lors des réunions et des activités organisées par l’intermédiaire de listes de diffusion ; également utilisées pour échanger des informations, des documents et des commentaires sur l’actualité urbaine et politique, elles comptaient respectivement 238 inscrits pour DA et 650 inscrits pour IMECE en mai 2011. Les deux mouvements se veulent donc ouverts et transparents, ce qu’illustrent la différence entre le nombre de leurs militants actifs et celui de leurs sympathisants et le changement régulier des militants les plus actifs (en fonction de leur disponibilité notamment).

22 Au-delà de ces caractéristiques similaires et partagées par la majorité des collectifs de professionnels urbains mobilisés contre les PTU, IMECE et DA présentent des différences significatives en termes de composition, de fonctionnement interne, de ressources et de modes d’action. L’histoire de DA a commencé en 2004 dans les quartiers de Gülensu-Gülsuyu, sous l’impulsion d’un étudiant du Département de Planification Urbaine et Régionale de l’Université Mimar Sinan (MSU) proche de l’ÖDP (Parti de la Liberté et de la Solidarité, un petit parti de l’extrême-gauche créé en 1996) et membre-fondateur de l’association étudiante Ville et Hommes (Kent ve İnsan) à la MSU. Contacté par l’association et les organisations de gauche du quartier qui viennent d’apprendre l’existence d’un plan de transformation préparé par la municipalité de Maltepe, cet étudiant convainc quelques camarades de classe et deux de ses professeurs de se rendre dans le quartier pour rencontrer les habitants mobilisés et leur apporter un soutien technique, ce qu’ils feront de manière régulière entre 2004 et 2007. Ils organisent ensuite en mai 2007 un « atelier de planification solidaire » d’une semaine conçu sur le modèle des ateliers d’urbanisme (workshop) et auquel participent près de 200 étudiants, professionnels et universitaires bénévoles avec pour objectif la réalisation d’une enquête socioéconomique et urbanistique. C’est cet atelier qui constitue l’événement fondateur de DA pour ses membres. Il a donné son nom au mouvement («atelier solidaire ») et illustre le mode d’action de DA : mener à bien un « travail volontaire, indépendant et civil » de conseil auprès des habitants, essentiellement dans les domaines de l’urbanisme et du droit (dans lesquels sont spécialisés les militants de DA), de manière à accroître la capacité de mobilisation, la représentativité et les ressources des organisations de quartier. Après 2007, DA recrute chaque année de nouveaux « membres », principalement des étudiants en 1ère, 2e et 3e année d’urbanisme à la MSU. Le mouvement s’engage également auprès d’autres mobilisations locales, comme à Sulukule – où ils participent à la réalisation de deux projets alternatifs de réhabilitation du quartier en 2008 et 2009 [11] – et auprès de la Plateforme des Associations de Quartier de Sarıyer (cf. illustrations 3a et 3b)

Illustration 3a - Exemple d’analyses socioéconomiques et de plans réalisés par DA pour Gülensu-Gülsuyu

GülsuyuSource : DA, non publié

Illustration 3b – Exemple d’analyses socioéconomiques et de plans réalisés par DA pour Sulukule

Source : site internet de l’Atelier de Sulukule http://www.sulukuleatolyesi.blogspot.com/


23 La création et le registre d’action d’IMECE relèvent d’une logique très différente puisque le mouvement constitue pour ses fondateurs l’instrument d’un projet politique. À l’origine d’IMECE, créé en 2006, se trouve un petit groupe d’amis, alors tous étudiants. Ils ont créé le mouvement IMECE-Mouvement d’Urbanisme de la Société afin de « lutter contre le néolibéralisme dans la ville », comme l’indiquent les 16 « principes » qu’ils ont rédigé collectivement à l’issue de plusieurs réunions hebdomadaires organisées au cours des premiers mois d’existence du mouvement afin de définir les objectifs et les moyens d’action politiques du mouvement avant d’élaborer toute action concrète sur le terrain. Les militants d’IMECE se donnent pour but de défendre les droits sociaux fondamentaux des populations urbaines les plus démunies socialement et culturellement, en particulier le droit au logement et au travail, contre les politiques néolibérales qui servent les « intérêts capitalistes » en mettant en place un système de « rente urbaine ». Leur objectif est de contribuer à la (re)politisation et à la mise en réseau des mobilisations locales afin de « faire revivre l’idéologie socialiste » et de concevoir un « projet contre-hégémonique » et révolutionnaire capable de renverser l’ordre urbain et politique existant. Le mouvement est depuis sa création actif aussi bien dans les quartiers de transformation urbaine (Gülensu-Gülsuyu, Sulukule, Ayazma, Tozkoparan, etc.) qu’au sein de plateformes stambouliotes (par exemple contre la construction d’un troisième pont sur le Bosphore ou contre la privatisation des écoles et hôpitaux publics d’Istanbul) et les manifestations nationales comme le défilé du 1er mai.


Illustration 4a - Affiche réalisées par IMECE pour faire connaître ses activités : la manifestation du 1er mai en 2008


Illustration 4b - Affiche réalisées par IMECE pour faire connaître ses activités : la projection du documentaire Maquilapolis. City of factories en juin 2010


Illustration 4c - Affiche réalisées par IMECE pour faire connaître ses activités : la parution du Rapport sur le ville d’Istanbul en mars 2009


Illustration 4d - Affiche réalisées par IMECE pour faire connaître ses activités : débat sur le thème « Quel urbanisme, quelle opposition ? »

Source : site internet d’IMECE (http://www.toplumunsehircilikhareketi.org/) pour les 4 illustrations.

24 Cette différence fondamentale en termes de stratégie et d’objectifs affirmés s’explique par les profils sensiblement différents des membres des deux mouvements et par la structuration et le fonctionnement interne qu’ils impliquent. Malgré sa volonté de fonctionner de manière égalitaire, ouverte et transparente, DA présente en effet une structure plus hiérarchique du fait des différences d’âge et de statut social entre ses membres : deux des membres actifs sont en effet des militants politiques expérimentés et deux autres sont enseignants-chercheurs dans le département d’urbanisme de la MSU (tous les quatre sont des hommes et ont entre 30 et 50 ans), quand le reste du groupe est constitué d’anciens étudiants de ces deux enseignants, ce qui crée de fait entre eux une relation hiérarchique difficile à briser. Au contraire, tous les membres
d’IMECE ont à peu près le même âge et étaient étudiants lors de la création du mouvement, ce qui facilite l’absence de hiérarchie formelle au sein du groupe. De plus, les militants actifs de IMECE disposent de ressources plus diversifiées que celles des membres de DA, puisqu’ils sont issus d’universités et de disciplines différentes (urbanisme mais aussi en science politique, en sociologie ou en histoire de l’art) et sont pour beaucoup détenteurs d’un capital militant et politique important : ils sont ainsi nombreux à avoir été membres d’organisations de jeunesse politiques, de syndicats ou d’associations étudiantes avant la création d’IMECE et viennent pour plusieurs d’entre eux de familles politisées (leurs parents ont parfois directement souffert de la répression en 1980-1983). À l’inverse, tous les jeunes membres de DA ont rejoint le mouvement après en avoir entendu parler par leurs professeurs ou camarades du département d’urbanisme de MSU et cet engagement constitue pour la majorité d’entre eux une première expérience militante ; ils sont par contre plus nombreux à avoir effectué des séjours longs à l’étranger.

25 Ces différents éléments contribuent à expliquer les différents répertoires d’action mobilisés par les deux mouvements, au-delà de leurs similarités : si tous soutiennent les mobilisations locales, publient des articles de presse, produisent des rapports, participent à des colloques au nom de leur mouvement et sont mobilisés lors des élections de la Chambre des Urbanistes, on observe en effet que les membres de DA sont plus actifs à l’université, à l’international et dans les quartiers (où ils mobilisent leurs compétences techniques et promeuvent une solution démocratique) alors qu’IMECE tire profit du portefeuille de ressources plus diversifié de ses membres pour mener à bien des actions de protestation qui mêlent l’artistique et le politique (ils ont par exemple réalisé en un documentaire sur Başıbüyük, Göç (migration), et organisent régulièrement des projections-débats autour de films engagés).

26 L’opposition entre une initiative civile et « experte » et un mouvement politique révolutionnaire semble donc s’expliquer par les ressources, la structure et le fonctionnement interne des deux mouvements. Elle a néanmoins été théorisée et accentuée par un travail de définition de cadrages, de mobilisation de ressources et de stratégies d’investissement différenciées voire concurrentielles fortement orienté par les interactions entre les deux mouvements et avec les autres acteurs des oppositions urbaines, selon un processus de démarcation et de typification réciproque.


La politisation du clivage expertise/politique
au sein des oppositions urbaines

27 La différence observée entre les registres et répertoires d’action de DA et d’IMECE n’est pas fortuite : elle s’explique à la fois par la diversité des capitaux dont sont dotés les membres des deux mouvements et par le travail de définition et de démarcation qu’ils ont progressivement opéré dans un contexte d’interaction permanent. Les actions qu’ils ont menées dans leurs premières années d’existence auprès des quartiers de transformation urbaine ont révélé leurs points communs et leurs points de désaccord et les ont conduit à formuler des approches divergentes voire conflictuelles.

28 Principalement théorisé à partir de l’analyse de leurs investissements différenciés des mobilisations contre les PTU de Gülensu-Gülsuyu et Sulukule, cet antagonisme a été rendu public dans la presse, lors d’événements scientifiques et lors des élections professionnelles. Il a également dominé les débats lors du Forum des Mouvements Urbains (stambouliotes) en juin 2010 : pendant deux jours, une vingtaine de mouvements et d’associations de quartier ont discuté des bases théoriques, politiques et pratiques sur lesquelles pourrait se fonder un mouvement de protestation commun. Le clivage entre une mobilisation experte, démocratique et locale et une résistance politique révolutionnaire auprès et avec les organisations de quartier et les habitants a rapidement émergé, les deux camps étant respectivement incarnés par DA et IMECE.

29 L’étude des étapes de cette polarisation croissante de l’« espace des oppositions urbaines » stambouliotes révèle des luttes de positionnement et de labellisation : chaque mouvement voire chaque militant a en quelque sorte été contraint de se positionner par rapport à la ligne de clivage ainsi définie par DA et IMECE, autrement dit de « choisir un camp ». Certains acteurs sont néanmoins réticents à prendre part à cette lutte symbolique et politique, ce qui permet d’expliquer ses effets ambigus en termes de politisation de la mobilisation.

La structuration du clivage entre mobilisation experte et mobilisation politique

30 Comme on l’a vu précédemment, IMECE a été pensé dès sa création en 2006 comme l’instrument d’un projet politique et idéologique clairement défini. Les « principes » du mouvement ont été élaborés à partir d’une analyse critique des politiques urbaines mises en oeuvre à Istanbul et des activités des mouvements d’opposition alors existants, en particulier DA. Jusqu’en 2007, DA n’avait au contraire aucune existence officielle et les militants mobilisés auprès des habitants de Gülensu-Gülsuyu pour les aider à formuler une alternative au PTU ne se revendiquaient d’aucune organisation, d’aucun projet ni d’aucun principe politique commun. Ce n’est qu’après l’atelier de planification solidaire à Maltepe en mai 2007 que quelques militants décident de poursuivre leur action et choisissent le nom du mouvement. En 2008, DA rejoint l’association Bir Umut (Un Espoir) [12], ce qui accroit sa visibilité et ses ressources (à travers le site internet et les locaux de l’association), mais il faut attendre 2011 pour que le mouvement se dote de son propre site internet.

31 Aujourd’hui encore, les membres de DA se refusent à écrire (aussi bien des articles de presse que des travaux scientifiques) sur les quartiers auprès desquels ils étaient mobilisés et leur « méthode » d’action dans ces quartiers, afin de témoigner aux habitants le caractère bénévole et désintéressé de leur engagement, contrairement à IMECE dont la stratégie consiste précisément à publiciser et à mettre en relation différents mouvements protestataires à Istanbul et en Turquie. Mais face aux critiques répétées d’IMECE dès 2006, les militants de DA ont finalement décidé d’expliciter et de défendre leur point de vue sur les mouvements contestataires et le rôle des professionnels urbains mobilisés, en s’appuyant sur l’exemple de leur action à Gülensu-Gülsuyu et Sulukule. Ils ont ainsi progressivement défini une « troisième voie » entre la politique de transformation urbaine promue par les pouvoirs publics (impliquant des démolitions et le déplacement des habitants) et la résistance physique et le projet politique révolutionnaire prônés par IMECE. Cette démarcation et cette polarisation entre les deux mouvements est particulièrement sensible à partir de 2007-2008 : les membres de DA et d’IMECE débattent alors par voie de presse, dans des colloques (qui se multiplient alors sur les thèmes de la transformation urbaine et des mouvements urbains) ou lors des élections professionnelles.

32 Leur opposition prend une tournure plus politique encore lorsque les militants d’IMECE qualifient ceux de DA de « révisionnistes », de « réformistes » et parfois même de « fascistes », et se voient en retour définis comme un groupe « marxiste orthodoxe et sectaire » qui cherche à politiser et radicaliser les habitants des gecekondu. Ces opérations de typifications réciproques font appel aux catégories de classement classiques de la gauche radicale en Turquie, élaborées principalement lors des mobilisations des années 1970 (Gourisse, 2007). La volonté de stigmatiser l’autre en lui appliquant des qualificatifs très négatifs pour ces militants d’extrême gauche (en particulier le terme « fasciste » qui été utilisé dans les années 1970 pour désigner les militants d’extrême droite) est nette. À l’encontre d’une vision dépolitisée des mobilisations collectives et de l’idée que le système politique turc a été complètement reformaté après 1980, on voit ici réapparaître des représentations et des clivages politiques et idéologiques antérieurs au coup d’État de 1980. Leur réactivation par les professionnels urbains militants semble destinée à polariser l’espace des mouvements d’opposition à la politique de transformation urbaine à Istanbul pour modifier les schèmes politiques et l’équilibre des rapports de force en leur faveur.

33 La concurrence entre DA et IMECE se joue dès lors dans des arènes diverses qu’elle contribue à polariser, à commencer par les quartiers mobilisés contre un projet de rénovation. Sans établir un lien de cause à effet entre les deux événements, un membre de DA soulignait néanmoins lors d’un entretien que c’était après la visite d’IMECE à Gülensu-Gülsuyu à la fin de l’année 2007 que les habitants et certains membres du bureau de l’association de quartier avaient commencé à mettre en doute la stratégie proposée par DA de réaliser un plan de transformation alternatif à celui des pouvoirs publics, avec la participation de tous les habitants. L’intervention d’IMECE aurait alors conduit à une division entre partisans d’une résistance radicale et partisans d’un « plan participatif », puis à un changement de direction à l’occasion des élections de l’association en 2008 et finalement à un retrait de DA. Il est intéressant de noter qu’une seconde association vient d’être créée au début de l’année 2011
par les anciens membres du bureau de l’association (entre 2004 et 2008) qui veulent organiser un vaste débat au sein du quartier sur la stratégie à adopter face à la transformation urbaine du quartier, à leurs yeux inéluctable. S’ils souhaitent que tous les habitants participent à la définition d’une solution, ils se déclarent individuellement favorables aux négociations avec les pouvoirs publics s’ils permettent une réhabilitation du quartier sans déplacement de population. Les dirigeants de la première association (élus en 2008 et réélus en 2010) sont majoritairement issus d’organisations d’extrême gauche illégales (en particulier les Partizan) ; ils associent tout nouveau plan à une menace de destruction pour le quartier et ses habitants « pauvres », victimes d’un système capitalistique de rente urbaine. Ils tiennent donc un discours révolutionnaire et déclarent être prêts à se battre au couteau sur des barricades pour défendre leur quartier contre la police. On retrouve donc à l’échelle du quartier la ligne de clivage qui divise les mouvements de professionnels urbains.

34 Au-delà des quartiers, les stratégies de mobilisation et de politisation différentes définies par DA et IMECE ont produit des effets de polarisation très nets dans les autres espaces dans lesquels sont positionnés leurs membres du fait de leur trajectoire socioprofessionnelle. On les observe notamment à l’université (où elle a donné lieu à des conflits lors de l’attribution des postes) et au sein de la Chambre des Urbanistes, en particulier au moment des élections
professionnelles. En 2008, les militants de DA et d’IMECE se sont ainsi affronté à travers deux listes adverses pour les élections de la Chambre des Urbanistes à Istanbul, et ont ensuite soutenu des candidats différents lors des élections de la branche ankariote [13].


Illustration 5 – Le blog « Les urbanistes débattent », créé lors de la campagne des élections de la Chambre des Urbanistes en 2008


Entre politisation et évitement du politique,
le rapport ambigu au politique 
des militants des mouvements urbains

35 Dans ce contexte, on peut être surpris par les nombreuses tentatives de coopération des oppositions urbaines qui ont été menées au cours des dernières années et qu’ont soutenues voire initiées les deux mouvements. La Plateforme des Associations de Quartiers d’Istanbul (İMDP) créée en 2008 et regroupant une vingtaine de quartiers mobilisés contre la transformation urbaine reste aujourd’hui considérée comme un modèle de rassemblement par les différents mouvements, bien que les organisations locales qui la constituaient aient principalement été soutenues à l’origine de cette entreprise par DA et que des difficultés pratiques et des désaccords politiques aient progressivement conduit à son déclin [14]. Plus récemment, une quinzaine d’associations locales et de mouvements ont pris part (par l’intermédiaire de deux ou trois militants les représentant) aux réunions hebdomadaires organisées à partir de mars 2010 pour préparer le FSE qui s’est déroulé à Istanbul au début du mois de juillet. L’objectif était d’élaborer un programme des « mouvements urbains » pour les quatre jours du forum (auquel ont participé des représentants de mouvements urbains allemands, français et sud-africain notamment), avec des débats, des visites de quartier et des projections de films notamment. La décision a été prise d’organiser un « Forum des Mouvements Urbains » une semaine avant le FSE, afin d’éclaircir la stratégie de chaque mouvement et de définir les conditions d’actions de protestation communes dans le futur (cf. illustration 6). Comme le précise l’appel à participation, ce forum – qui a eu lieu les 26 et 27 juin 2010 – devait permettre aux différents « mouvements urbains » de mieux se connaître et de définir une base commune en termes de principes, de méthodes et de moyens mobilisés pour lutter plus efficacement contre la transformation urbaine [15].


Illustration 6 – Le blog « Mouvements urbains d’Istanbul », créé à l’occasion du Forum Social Européen en 2010

36 Malgré l’appel de ses organisateurs à délaisser les débats théoriques et idéologiques au profit de questions pratiques et de l’élaboration d’actions concrètes, de fortes tensions se sont fait sentir dès les premières heures du forum. Après avoir affirmé appartenir au même « camp » des oppositions urbaines aux politiques néolibérales, chaque porte-parole a présenté son mouvement ou son association et les actions menées jusqu’ici en se positionnant en faveur ou contre les stratégies exposées par les intervenants précédents. À la question « Sur quelle base commune les mouvements urbains peuvent-ils se retrouver ? » qui leur était posée, les militants ont ainsi répondu par la mise en évidence de leurs désaccords. À l’issue du premier jour cinq grands thèmes de discussion – significativement formulés sous la forme de choix stratégiques opposés – avaient été retenus pour les débats de la seconde journée : lutte juridique / actions de rue, négociations et plans alternatifs / lutte totale, mobilisations locales / lutte globale, moyens et instruments de lutte, organisation par le bas / par le haut. Ces alternatives qui ont émergé dès les premières heures de débats à propos de la stratégie et des moyens d’action rappellent le clivage entre les « méthodes » définies par DA et IMECE au cours des dernières années. Les discussions houleuses qui ont eu lieu sur ces différents points ont d’ailleurs souvent été menées par des membres de ces deux mouvements, les autres militants apparaissant plus en retrait.

37 Au final, il semble que ce forum des mouvements urbains ait conduit à la réaffirmation voire au durcissement du clivage préexistant et à sa généralisation à l’ensemble des oppositions urbaines, chacun étant sommé de se positionner en faveur de l’une ou l’autre des deux stratégies qui lui étaient proposées ce jour là, dans le but affiché de parvenir à un consensus ou du moins à l’expression d’une majorité de voix pour l’une d’elle. Aucune action concrète n’a véritablement été décidée lors de ce forum, les militants y participant n’ayant réussi à s’entendre que sur une série de slogans. Les « mouvements urbains » ont quand même accueilli les militants étrangers participant au FSE avec un programme d’activités organisées en commun, ont défilé lors de la marche finale derrière une bannière unique et ont continué à se retrouver chaque semaine après l’été, mais face aux désaccords persistants l’idée de créer une « plateforme des mouvements urbains » a finalement été abandonnée et les réunions arrêtées après quelques mois.

38 Au cours du forum, les représentants des associations de quartier ont en général tenu des propos plus mesurés, appelant les militants d’IMECE et DA à dépasser leurs désaccords théoriques et à se concentrer sur l’élaboration de stratégies concrètes pour soutenir les quartiers menacés par des PTU. L’urgence dans laquelle se trouvent certains quartiers (où le plan a été voté ou les travaux ont même déjà commencé) explique certainement cet appel à la mobilisation immédiate. Cette prise de position plus neutre, moins conflictuelle et politique, tient certainement aussi de la nécessité pour les organisations locales de fédérer autour d’elles le plus grand nombre d’habitants et de militants possibles afin d’accroître leur légitimité et leur pouvoir de pression sur les pouvoirs publics, ce qui les encourage à éviter l’emploi d’un langage trop radical et partisan. On peut également penser que cette prise de distance par rapport aux luttes politiques entre professionnels urbains trouve sa source dans le différentiel de ressources entre des habitants-militants et des militants issus des univers académique, syndical et professionnel. L’histoire politique de nombreux quartiers aujourd’hui mobilisés et les ressources et savoir-faire militants acquis dans ce contexte par la plupart des présidents et porte-parole d’organisations de quartier nous encouragent néanmoins à nuancer cette hypothèse. L’hypothèse d’une différence relative à la mémoire politique des militants paraît alors plus juste, la principale différence entre les militants locaux et les membres des mouvements de professionnels tenant à leur âge et leur lieu de vie. Les habitants actifs dans les organisations locales mobilisées contre la transformation urbaine sont presque exclusivement des hommes âgés de 40 à 60 ans, venus à Istanbul avec leur famille lorsqu’ils étaient enfants. Membres d’organisations politiques de gauche, ils ont souvent pris part à des combats politiques et armés dans les années 1970 ; certains ont été emprisonnés au moment du coup d’État en 1980, parfois plusieurs années. À l’inverse, mis à part 2 ou 3 militants plus âgés, les professionnels urbains mobilisés contre la transformation urbaine ont entre 20 et 30 ans et appartiennent donc à la génération post-coup d’État, dont ils ne connaissent que ce qui leur a été transmis par leurs parents ou dans les organisations auxquelles ils ont adhéré par le passé. Par ailleurs, ils ne partagent pas le quotidien des habitants des gecekondu et des quartiers mobilisés contre un PTU, où le stigmate politique est constamment réaffirmé par les relations tendues avec les pouvoirs locaux et la forte présence policière.

39 Enfin, il faut souligner que les prises de position des militants varient en fonction du contexte dans lequel ils s’expriment. S’il est globalement juste de considérer que les dirigeants des associations de quartier contribuent moins à la politisation des discussions et des désaccords au sein des oppositions urbaines, cela ne signifie pas qu’ils se tiennent toujours à distance du politique ; il semble que leur rapport au politique affiché varie en effet fortement en fonction du contexte et des acteurs présents. Ainsi est-il courant d’entendre parler des projets menés par les élus locaux, du programme des partis politiques et des différends politiques lors des réunions hebdomadaires de la Plateforme des Associations de Quartiers de Sarıyer, auxquelles participent également chaque semaine quelques militants de DA, alors que le discours sera beaucoup plus neutre lors des réunions des associations de quartier ou celles des « mouvements urbains ». De même, les militants de DA et IMECE tiennent des discours différents lors des réunions hebdomadaires de leur mouvement et lorsqu’ils vont rencontrer des associations de quartier, même IMECE qui se doit de « dissimuler » son projet révolutionnaire sous peine d’effrayer les habitants et leurs représentants locaux. La politisation des discours, des enjeux de la mobilisation et des positions des uns et des autres est donc à la fois partielle et relative au contexte, défini à la fois par une échelle et une configuration d’acteurs qui partagent plus ou moins le même point de vue et les mêmes objectifs dans la mobilisation.


Conclusion

40 L’étude des répertoires d’action et du travail de cadrage des mouvements de protestation contre la politique de transformation urbaine mise en oeuvre à Istanbul a mis en lumière le caractère ambigu de sa politisation. Elle a montré que les lectures divergentes voire conflictuelles qu’opèrent ces mouvements des politiques urbaines, des mobilisations locales et du modèle de résistance qu’ils proposent relèvent d’un travail d’imposition d’un sens politique à la mobilisation. On observe pourtant simultanément des attitudes de rejet ou du moins de mise à distance du politique, au profit d’un discours qui souligne les caractéristiques communes à tous les quartiers de transformation urbaine et valorise les points communs à tous les militants, à savoir leur volonté de lutter pour une plus juste répartition des richesses et l’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres d’Istanbul.

41 Il paraît alors plus juste de parler d’ « évitement » du politique que d’apolitisme, dans la mesure où la majorité des militants possédaient un capital politique et militant avant de s’engager contre la transformation urbaine et que c’est précisément la question de la politisation des mobilisations qui fait débat. Si la diversité des processus individuels de négociation des contraintes propres au régime sécuritaire contribue à expliquer la diversité des échelles, des niveaux et des modalités du rapport au politique des militants, celui-ci semble surtout varier en fonction du contexte dans lequel ils s’expriment et se mobilisent. Cette contribution a enfin fait apparaître l’importance des réseaux, des cadrages et des répertoires d’action hérités des expériences de « luttes urbaines » des années 1970 ainsi que de l’histoire spécifique des professionnels urbains en Turquie. Elle montre l’intérêt d’analyser les processus de remobilisation et de reconversion des ressources et expériences acquises lors des mobilisations sociales, politiques et urbaines qui ont précédé le coup d’État de 1980.


Notes

1 L’Agence 2010 a été créée par une loi spéciale en 2007 (loi n°5706 ratifiée le 02/11/2007). Son budget et la liste des projets urbains financés sont disponibles (en anglais) sur son site :

2 Les conditions et modalités de cette transformation urbaine ont d’abord été définies lors d’un colloque international organisé en 2004 par l’IBB et la municipalité de Küçükçekmece désignée comme terrain pilote. Une Direction de la Transformation Urbaine (significativement rattachée au Département de Gestion du Risque Sismique et du Développement Urbain) a également été créée au sein de l’IBB, participant du travail de légitimation et d’institutionnalisation de cette nouvelle « vision ». Plusieurs lois ont ensuite été votées qui déterminent (et accroissent) le rôle et les compétences des différents acteurs publics dans ces projets, en particulier les municipalités d’arrondissement et de « grande ville » (büyükşehir) et TOKI, l’Administration du Logement de Masse (rattachée au cabinet du 1er Ministre). Il s’agit notamment des lois n°5393 sur les Municipalités (2005), n°5162 sur les Municipalités métropolitaines (2004), n°2985 sur le Logement de Masse (2004) et n°5366 sur la Rénovation des quartiers dégradés (2005). Cf. Advisory Group on Forced Evictions, 2009. Mission to Istanbul, Report to the Executive Director of the UN Habitat Programme.

3 Nous empruntons le terme d’ « oppositions urbaines » à Erbatur Çavuşoğlu et Murat Yalçıntan, enseignants dans le Département d’Urbanisme de l’Université des Beaux Arts Mimar Sinan à Istanbul et membres-fondateurs de l’Atelier solidaire (DA), un collectif de « professionnels urbains » créé pour soutenir les habitants qui contestent les projets de transformation de leurs quartiers à Istanbul. Cette expression nous semble rendre compte à la fois du positionnement politique des mouvements qu’elle désigne – qui contestent une politique symbole de la mise en place d’un système urbain « néolibéral » – et de leur diversité. Les deux auteurs regroupent sous le terme « opposition(s) urbaine(s) » les chambres professionnelles, les organisations de la société civile, les groupes politiques, les « initiatives civiles » (comme DA), les organisations de quartier, les « plateformes » (comme la Plateforme La Vie au lieu du Troisième Pont, Yaşam Platformu), les universités et enfin les médias. Voir Yalçıntan M., 2009 ; Çavuşoğlu E., Yalçıntan M., 2008.

4 L’expression « professionnels urbains » est utilisée par Bülent Batuman (2008) dans un article consacré à l’engagement social des architectes et urbanistes turcs et aux vagues de politisation et de dépolitisation des chambres professionnelles depuis les années 1930 et en particulier dans les années 1960-1980.

5 Comme en témoigne par exemple le texte de la conférence de presse donnée par la Plateforme des Associations de Quartier d’Istanbul lors de sa création en janvier 2008, consultable en ligne en français : http://emi-cfd.com/echanges-partenariats7/spip.php?article164

6 Les quartiers de Gülensu (arrondissement de Maltepe) et Bir Mayıs (arrondissement d’Ümraniye) à Istanbul ont été érigés à la fin des années 1970 par les habitants aidés par des organisations de la gauche radicale qui ont pris en charge la planification, la construction et l’attribution des logements par le biais de diverses instances locales (comité de quartier, etc.) (Le Ray, 2004 ; Aslan et al., 2010). Dans le contexte de polarisation de la société et de radicalisation politique des gecekondu, d’importants réseaux de solidarité se sont créés entre les divers mouvements socialistes (étudiants, ouvriers grévistes, groupes politiques) et la population « prolétaire » de ces quartiers appelés « zones libérées ». Ces expériences ont fondé l’imaginaire révolutionnaire du gecekondu encore entretenu aujourd’hui par la gauche radicale qui « érige le gecekondu et le peuple des gecekondu » en acteur politique à part entière doté d’une identité de classe et d’une mission révolutionnaire propres » (Pérouse, 2004). Elles sont également la cause du traitement policier – et médiatique – spécifique dont ces quartiers font l’objet (Le Ray, 2004).

7 Sur les associations d’originaires, également appelées associations « de pays », voir le numéro spécial de European Journal of Turkish Studies : http://ejts.revues.org/index359.html.

8 Entretiens avec E.Y. (2009, 2010 et 2011), membre du comité de direction de l’association de 2004 à 2008, A.D. (2011), président de l’association entre 2008 et 2010, et A.Ş. (2011), actuel président de l’association. Voir également Yıldız, E., 2010. Portrait d’un quartier politique, Fotoğraf Notları, n°4, p. 14-21 (en turc).

9 Entretien avec A. K. (2009 et 2010), président de l’association de Başıbüyük de 2006 à 2009. Voir également Express, 2008. Transformation urbaine. Başıbüyük résiste, n°5, p. 36-42.

10 Entretiens avec 2 militantes d’IMECE (2009) et 4 militants de DA (2009 et 2011) ; observation de 6 réunions hebdomadaires et du forum annuel d’IMECE (2011), de 8 réunions hebdomadaires et de la Nuit de Bir Umut (2011), de 5 réunions hebdomadaires des mouvements urbains et du Forum des Mouvements Urbains (2010). Voir également les sites internet des deux mouvements :
www.toplumunsehircilikhareketi.org (IMECE)
www.dayanismaciatolye.org (DA)

11 Il s’agit des projets STOP (acronyme de Sınır Tanımayan Otonom Plancıları qui signifie Planificateurs Autonomes Sans Frontières), réalisé en 2008, et l’Atelier de Sulukule (Sulukule Atölyesi), l’année suivante. Cf. leur blog respectif (en turc) :
http://sulukulegunlugu.blogspot.com/2008/09/sulukuletoplumsal-
gelime-ekonomik.html  et www.sulukuleatolyesi.blogspot.com

12 l’association Bir Umut (Un Espoir) en 2008 est l’héritière du collectif Dayanışma Gönüllüleri (Les Volontaires de la Solidarité) créé pour venir en aide aux victimes du séisme de 1999. Cf. son site internet :

13 Lors des élections de la Chambre des Urbanistes en 2008 avait été créée une plateforme (Şehirciler Tartışıyor, Les Urbanistes Débattent) pour faire naître un projet et une candidature communs. Malgré les invocations à centrer les débats sur des questions professionnelles, le clivage politique entre DA et IMECE a de nouveau surgi et, n’ayant pas réussi à s’entendre, les deux mouvements ont présenté des listes adverses. Cf. le blog de la plateforme (en turc) :

14 Cf. le blog de la plateforme et le texte de la déclaration à la presse de la plateforme du 4 janvier 2008 :

15 Cf. le blog des mouvements urbains créé à cette occasion (en turc) :
Il est partiellement disponible en anglais à cette adresse :


Clémence Petit
Engagement militant et politisation des mobilisations au sein des oppositions urbaines à Istanbul
EchoGéo [En ligne], numéro 16 | 2011

À propos de l'auteur

Clémence Petit (http://prisme.u-strasbg.fr/cpetit.htm) est doctorante allocataire en science politique rattachée au Groupe de Sociologie Politique Européenne de l’Université de Strasbourg (GSPEPRISME, UMR 7012) et chercheur associé à l’Observatoire Urbain d’Istanbul au sein de l’Institut Français d’Études Anatoliennes à Istanbul (OUI/IFEA). Titulaire d’un master de géographie (Université Paris IV), elle travaille sur les politiques urbaines stambouliotes depuis 2006. Après un mémoire en géographie sur les dynamiques et politiques de périurbanisation dans les marges Nord-Est d’Istanbul, elle s’intéresse depuis 2008 à la politique de transformation urbaine (kentsel dönüşüm), aux mobilisations collectives et à la question de la participation des habitants à l’action publique urbaine en Turquie.

clemencefredpetit@gmail.com


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