EGYPTE : Archives de la Révolution et Activisme


Affiche Collectif Mosireen

En Égypte, deux collectifs, menés par des jeunes activistes, s'occupent activement de combattre et dénoncer la désinformation et la répression menée par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) : Mosireen (déterminés, en arabe), et 3Askar Kazeboon (militaires menteurs). Au-delà, leurs initiatives sont une propagande bien déterminée à protester contre la manière dont le Conseil suprême des forces armées dirige la transition en Égypte. Au coeur de toutes les manifestations, ils proposent une arme aussi efficace qu'une fronde ou qu'un cocktail molotov : leurs caméras qui filment sans relâche - au mépris du danger - la répression militaire et policière, pour ensuite l'exposer, la diffuser et la dénoncer publiquement... sur les vastes écrans des façades d'immeuble des villes d'Égypte.

Mosireen 
formé quelque temps après la Révolution du 25 janvier 2011 est le premier collectif à avoir développé en Égypte, avec rigueur, cette pratique en filmant les scènes de manifestations, en recueillant des témoignages de manifestants, puis en les diffusant sur leur compte Youtube, actif en août 2011 ; des témoignages et des archives - les archives de la Révolution selon le collectif - constituées de 62 vidéos, visionnées 2 500 000 fois. Salma Saïd, membre du collectif explique :
« Notre spécificité vient du fait que nous sommes des activistes, nous sommes au cœur des événements, nous filmons ce qui se passe de l’intérieur. [...] Nous voulions proposer un endroit qui serve les journalistes citoyens, un endroit où ils puissent travailler, faire leur montage. [...] Nous sommes en train de réunir le plus de données possible, et l’on essaye de voir avec d’autres groupes révolutionnaires comment on peut unifier le projet. »
Plus encore, ces archives de la Révolution sont projetées lors des grandes manifestations, sur les façades et les socles de statue de la place al-Tahrir. Un excellent procédé pour tenter d'échapper à Internet, au cercle très fermé des net-activistes et aller au-devant des populations plus âgées ou n'y ayant tout simplement pas accès. Omar Robert Hamilton, membre de l’association, raconte comment les premières projections ont été accueillies par un vieil homme, venu spécialement de Tanta, un petit village au nord du Caire, pour passer la journée sur la célèbre place : « Il m’a serré la main fermement pour me remercier de tout le travail que nous avons effectué (…). Pendant des mois, il a eu le sentiment que la télévision officielle lui mentait, et maintenant, en regardant les images du 28 janvier sur notre écran de fortune en bois et en plastique, il en est persuadé. Il me dit que nous devons amener ce cinéma à Tanta (…).»
Collectif Mosireen, projection pirate 
3Askar Kazeboon 
 le second collectif n'attend plus ou pas seulement les manifestations pour projeter dans les rues des villes des images chocs des répressions policières durant les manifestations ; équipé d'un projecteur, d'un écran et d'un ordinateur portable, le collectif organise dans les rues des villes de l'Égypte, la projection d’images chocs. Reem Daoud, membre de l'association : « On essaye de construire une histoire : par exemple, on va montrer des extraits de militaires du Conseil suprême affirmant que l’armée n’a pas utilisé la force contre les manifestants, et juste après, des images qui témoignent du contraire » ; « Nous sommes sept à gérer 3Askar Kazeboon, chacun représentant une association révolutionnaire différente ».
Kazeboon qui reprend les vidéos de Mosireen, est maintenant cloné par d'autres collectifs : « Nous n’aurions jamais cru que ça allait prendre une telle ampleur. Mais les gens ont commencé à organiser eux-mêmes les projections. Jeudi dernier, il y en a eu 14 au Caire. Quatre seulement ont été préparées par nous ».

Et les militaires...
Tout cela n'est guère apprécié par les militaires qui s'emploient à diffuser télévisionnellemment des reportages d'une tout autre réalité ; mais qui ne peuvent - hélas - pas intervenir pour juguler le flots des vidéos sur Internet. C'est ainsi que ses séances de diffusion sont attaquées soit par les policiers ou les baltaguiyas (petites frappes) à la solde du régime ; certains passants interviennent également pour protester contre ses images d'horreur et insulter copieusement les organisateurs. Le plus généralement, des attroupements de curieux se font et ceux qui n'apprécient pas, passent leur chemin. Cela étant,  Kazeboon  limite les risques et le temps de projection à 30 minutes, selon le lieu de projection et l'ambiance générale qui s'y créée.

Journalisme Populaire Révolutionnaire ?
Pour le journaliste Tony Gamal Gabriel, "Si de telles initiatives ont vu le jour, c’est parce qu’une grande partie des révolutionnaires égyptiens estiment que les médias traditionnels n’assument pas correctement leur rôle d’informateurs. Salma Saïd évoque les raisons de ces pratiques : « Les médias publics sont au service de l’État, ils diffusent des mensonges où ils omettent de parler de certains évènements », qui ajoute que même les privés ont leurs limites : « ils dépendent des hommes d’affaires et ils ont des lignes rouges à ne pas franchir imposées par l’État. »
Pour beaucoup, la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes restent limitées. En septembre, une circulaire a ainsi été adressée par fax à tous les directeurs des rédactions égyptiennes, leur demandant de ne publier « aucune information, déclaration, photo ou critique concernant les membres du CSFA. » Plus récemment, le 21 octobre, le célèbre présentateur d’une émission politique, Yossri Fouda, a pris la décision de suspendre son programme, après que des directives gouvernementales ont tenté de lui imposer un invité sur son plateau. Il a depuis retrouvé sa place à l’antenne. Pendant les affrontements du 16 décembre, Mosireen a fait directement l'expérience de la censure qui pèse sur ceux qui veulent informer librement. « Nous filmions les événements depuis un appartement privé. La police a investi les lieux, et a confisqué le matériel. Plus tard, nous les avons vus détruire nos caméras. Nous avons porté plainte, mais rien n’a été fait pour le moment. »"

Via l'article de :
Tony Gamal Gabriel
Égypte : matraquez, vous êtes filmés !
2012



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