Eisenstein | Glass House

Sergueï Eisenstein, croquis pour le film Glass House 


" Vivre dans une maison de verre est, par excellence,
une vertu révolutionnaire. "

Walter Benjamin

L'architecture de verre aura été dans les années 1920, un domaine intéressant également la politique et le monde intellectuel, notamment auprès de l'intelligentsia radicale allemande et révolutionnaire soviétique, qui y voient  soit la concrétisation d'une utopie d'harmonie sociale et cosmique, soit un geste révolutionnaire capable de rompre avec le passé ; pour d'autres ce n'est que la manifestation d'un cauchemar totalitaire. Où se situe le projet de film Glass Housedu réalisateur soviétique Eisenstein [Le cuirassé Potemkine, Ivan le Terrible, Viva Mexico, etc.]  entre le socialisme rural de Tchernychevsky et les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve cristallin de Taut et de la Gläserne Kette et le monde dystopique de Zamiatine ? L'architecture de verre joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu révolutionnaire » qui lui est attribué par Benjamin ? 

Antonio SOMAINI
Utopies et dystopies de la transparence.
Eisenstein, Glass House,
et le cinématisme de l'architecture de verre.
Revue Appareil - n° 7 | 2011
[Extraits]

1. L'architecture ouverte et la transformation
de l'espace cinématographique

En 1946, forcé d'abandonner tout projet de direction de film à cause de la censure sous laquelle était tombée la deuxième partie d'Ivan le Terrible et d'un infarctus qui l'avait obligé à suivre un régime de vie beaucoup plus limité qu'auparavant, Eisenstein se plonge dans le projet d'écrire une histoire du cinéma.

Selon ses intentions, cette histoire aurait dû orienter les recherches et les enseignements de la section d'histoire et théorie du cinéma qu'il voulait inaugurer, avec le soutien d'Igor Grabar, auprès de l'Institut d'histoire de l'art de l'Académie des sciences. Ce qui nous est parvenu de ce projet, resté inachévé à cause de la mort du cinéaste en 1948, ce sont des notes ? intitulées par Eisenstein Notes pour une histoire générale du cinéma (1)  rédigées sous forme de longues listes et organisées synthétiquement en petits chapitres et sous-chapitres : pas encore un texte accompli, donc, mais plutôt un schéma général qui nous surprend pour la grande variété d'exemples et de reférences qu'il contient.

Pourquoi cette histoire du cinéma est-elle « générale » [vseobshtchaya]. Suivant une démarche qu'on retrouve dans presque tous ses écrits à partir de la fin des années 1920 et qui constitue le trait caractéristique des grands projets de livres comme Metod (1932-48), Montage (1937) et La non-indifférente nature (1945-1947) (2), le but d'Eisenstein dans ces Notes est d'analyser toutes les formes dans lesquelles les procédés constitutifs du cinéma (l'impression de la pellicule, le montage, la projection des images sur un écran devant un public) se sont manifestés au-delà des limites du cinéma lui-même : dans l'histoire des arts, aussi bien que dans l'histoire des techniques et des médias. Il s'agit, en d'autres mots, de produire avec ces Notes pour une histoire générale du cinéma une cartographie la plus exhaustive possible des formes de ce qu'Eisenstein appelle, d'un mot français, « cinématisme » (3) : un terme qui indique la présence dans l'histoire universelle des arts et des médias (dessin, peinture, sculpture, architecture, littérature, musique, photographie, théatre...) de structures formelles, modes de composition et expériences esthétiques que le cinéma peut élaborer et conduire à leur stade le plus achevé seulement en étudiant avec attention leurs manifestations pré- et extra-cinématographiques. Ce qui intéresse Eisenstein, autrement dit, ce n'est pas d'écrire une histoire du cinéma qui viserait à définir de manière stable et définitive son identité spécifique en tant que médium et forme de représentation, mais plutôt de construire, pour la première fois, une histoire qui soit l'histoire des possibilités du cinéma : possibilités qui souvent se sont manifestées au-delà des limites du cinéma lui-même, dans des formes de représentation qui ont précédé sa naissance et accompagné son dévéloppement, et auxquelles le cinéma du futur devra nécessairement prêter attention pour y trouver une source puissante d'inspiration.

[...]

2. De la transparence invisible
à la catastrophe du panoptisme :
le monde dystopique de Glass House


Dans une note écrite le 17 novembre 1927, Eisenstein évoque le projet intitulé Glass House (12) en écrivant : « Je l'ai imaginé à Berlin. Hôtel Hessler, Kantstrasse. Sous l'influence des essais d'architecture de verre » (13). Eisenstein se trouvait à Berlin entre mars et avril 1926 pour assister à la première du Cuirassé Potemkine, une première qu'il finira par rater puisque, à cause de la censure, elle fut repoussée au 29 avril, quand il était déjà reparti pour Moscou avec Edouard Tissé, son opérateur, depuis une dizaine de jours. Les notes, les pages de son journal privé, et les dessins qui nous sont parvenus concernant ce projet datent de 1927-1928, puis des mois de mai et juin 1930, pendant le séjour d'Eisenstein à Hollywood, et finalement se concluent avec une brève remarque écrite en 1946, qui témoigne de l'importance que ce projet revêtait pour lui, dans un contexte personnel, artistique et politique tout à fait différent de celui dans lequel il avait été conçu au départ : « Chacun, une fois dans sa vie, écrit son mistère ; le mien c'est Glass House » (14).
Mies Van der Rohe, immeuble en verre, Friedrichstrasse   

Quels étaient les « essais d'architecture de verre » auxquels se refère Eisenstein dans sa note, comme influence décisive pour la genèse de Glass House ? Comme nous verrons par la suite, le verre était au centre des recherches les plus expérimentales dans l'architecture des années 1920. En 1921-1922, toujours à Berlin, Mies van der Rohe avait suscité beaucoup de clameurs avec son projet pour un gratte-ciel entièrement de verre dans la Friedrichstrasse, un bâtiment dont la planimétrie était composée par des formes polygonales à l'aspect cristallin, et dont le but était celui de créer « un riche jeu de reflets lumineux » qui auraient été projetés de l'intérieur de l'édifice vers la rue à l'extérieur. Ce concours pour une Hochhaus dans la Friedrichstrasse était le premier grand concours en Allemagne après la période d'inactivité forcée pendant la guerre, une période pendant laquelle des figures comme Paul Scheerbart et Bruno Taut avaient élaboré la vision utopique d'une architecture du futur entièrement en verre. Taut était très actif dans l'Allemagne de Weimar et très connu en Union soviétique, et Eisenstein, fils d'un architecte et très intéressé par les développements de l'architecture moderne, connaissait certainement ses projets et ses publications. En même temps, le verre jouait un rôle central aussi dans l'architecture des constructivistes russes, autant dans les projets effectivement construits (pensons à l'édifice Gostorg de Velikovsky et Barsch en 1926, ou au club ouvrier Zuev de Golosov, terminé en 1928), que, surtout, dans les projets inachevés et parfois utopiques et presque irréalisables, comme le Monument pour la Troisième International de Tatline (1919-1920), avec ses quatres solides de verre à l'intérieur de la spirale d'acier, ou le projet pour l'Institut Lénine de Leonidov (1927), avec son auditorium en forme de sphère de verre, et avec sa tour des livres aussi en verre transparent. En imaginant son projet de film dans un gratte-ciel entièrement de verre, Eisenstein aurait été donc influencé par un contexte architectural dans lequel le verre était un signe éloquent de modernité et parfois d'utopie. Une dimension utopique qui, comme nous verrons, est directement mise en question par Glass House.

Bruno TAUT, Alpine Architektur
Bruno TAUT, Kristallhaus


La période de 1926 à 1930 est une période très intense dans le parcours d'Eisenstein : pendant ces années il travaille en même temps à deux films, Octobre (1927-1928) et La Ligne générale (1926-1929), il écrit entre 1928 et 1929 une importante série d'essais sur le montage (15), et il s'interroge sur la possibilité d'étendre les possibilités du montage au-delà du champ du cinéma narratif, et même du cinéma tout court. À partir du mois d'octobre 1927, pendant qu'il tourne et monte Octobre, il écrit des notes dans lesquelles il imagine de recourir au montage « intellectuel » expérimenté dans quelques séquences célèbres du film ? notamment, la scène qui nous montre le général Kerensky gravissant les escaliers du Palais d'Hiver, et la séquence dite « des dieux » ? pour réaliser un « film-essai » sur le Capital de Marx (16). Un film qui aurait dû enseigner aux ouvriers « à penser dialectiquement », en montrant « la méthode de la dialectique » à travers un montage d'images fondé sur le conflit entre fragments divers et visant à activer la conscience du spectateur, tant émotionnellement qu'intellectuellement. Au mois d'août 1929, après avoir été invité à présenter sa théorie et ses films dans le cadre de la section soviétique, organisée par El Lissitzky et sa femme Sophie Lissitzky-Küppers, de l'exposition internationale Film und Foto de Stuttgart, il refléchit à la forme la plus appropriée pour présenter adéquatement sa théorie du montage, et il imagine la trouver dans un livre en forme de sphère : un livre-atlas, dynamique et interactif, lui-même conçu comme dispositif de montage, qui aurait dû permettre au lecteur de considérer les essais qui le composaient « tout ensemble simultanément », en passant « de l'un à l'autre en avant et en arrière », « à travers des renvois continus » et « des intégrations réciproques », de manière que même entre les arguments les plus loins entre eux il aurait été possible « un passage direct de l'un à l'autre à travers le centre de la sphère » (17). Dans ces deux cas, le film sur le Capital et le livre-sphère, il s'agissait de mettre à l'épreuve l'efficacité du montage bien au-delà des limites du cinéma narratif. Il s'agissait de voir, dans le montage, un dispositif d'écriture et de lecture, de pensée et d'exposition. De le déplacer du contexte du film narratif vers d'autres dimensions : celle du film-essai de propagande, ou celle d'une forme-livre qui visait à se donner une nouvelle présence dans l'espace, devenant un livre-exposition capable d'inviter le lecteur à pratiquer lui-même une forme de montage.

Conçu et développé dans les mêmes années que les notes sur Capital et sur le livre sphérique, Glass House participe pleinement de cet élan utopique qui pousse Eisenstein à expérimenter des formes inédites de montage. Situé dans un gratte-ciel entièrement en verre, il posait des problèmes inédits de montage surtout du point de vue de la composition spatiale des cadres et des plans, vu que la caméra se serait trouvée devant un espace complètement transparent, sans aucune limite opaque qui sépare l'intérieur de l'extérieur. Un espace nouveau, qui mettait en question la composition traditionnelle du cadre et l'idée même du cadre. Un défi qui selon Eisenstein aurait pu l'aider à résoudre les problèmes spatiaux posés aussi par Capital, un film dans lequel, comme nous lisons dans les notes, « l'idéologie du plan de signe égale doit être entièrement revue » (18). Même avec leurs grandes différences ? Glass House était tout concentré dans l'ici et le maintenant de l'espace dystopique d'un gratte-ciel de verre, au lieu que Le Capital aurait dû faire référence aux régions du monde les plus diverses ("We will be in New York, in China, in Egypt will expand in all directions)" (19), il s'agissait donc de deux projets étroitement liés l'un à l'autre, pour leur dimension utopique et politique, ainsi que pour les défis que tous deux posaient à la pratique courante du montage.

La trame de Glass House, à laquelle Eisenstein travaille à plusieurs reprises mais toujours de façon fragmentaire et discontinue, tourne tout autour de la spécificité de l'espace dans lequel le film est situé. Après un « prologue » décrit par Eisenstein comme une « histoire du verre » ou « symphonie du verre (non figuratif) » (20), le film aurait dû nous montrer la vie quotidienne dans un gratte-ciel de verre où personne ne se rend compte du fait que tout est transparent et qu'on peut regarder à travers toutes les parois, tant vers les côtés que vers le haut et vers le bas. Dans ce monde paradoxal, Eisenstein imagine des scènes suspendues entre le comique et le grotesque, comme celle d'un mari qui ne voit pas à travers le mur transparent de son appartement la femme qui le trompe avec son amant, ou celle d'une jeune femme qui brûle dans l'indifférence générale (21). Un monde régi par « l'indifférence des uns envers les autres », où « tout le monde vit comme s'il y avait des murs, chacun pour soi » (22), jusqu'au moment où sur la scène apparaît un personnage destiné à transformer radicalement la vie dans cette maison de verre. Il s'agit d'un personnage-clé sur l'identité duquel Eisenstein n'arrive pas à prendre une décision définitive, vu qu'il l'appelle dans les notes « fou », « psychopathe », « poète », « idéaliste », « Jésus-Christ », même « Mr. X ». Dans une scène qui aurait dû faire bifurquer complètement le film, ce personnage-clé court pour sauver une femme battue par son mari dans l'indifférence générale et heurte sa tête contre le verre : à partir de ce moment-là il décide de montrer à tous qu'on peut voir à travers le verre transparent. Le résultat n'est pas l'établissement de l'harmonie et de la solidarité réciproque, mais au contraire le bouleversement total de la vie dans la maison : voyeurisme, surveillance, espionnage, délation, intrigues, conflits, crimes, déchaînement de toutes les passions... Troublé par le désastre que sa découverte a causé, le personnage-clé se suicide dans une scène qu'Eisenstein illustre très efficacement dans les notes et dans les dessins qui les accompagnent : « Suicide dans une pièce isolée à la lumière d'une petite lampe, aux yeux de tous, sans voir personne. Retenant leur souffle, ils regardent. La chasse à la corde... Et... la vente aux enchères. Mais... le pendu est resté vivant. On s'est trop dépêché et on ne lui a pas laissé le temps de s'étrangler jusqu'au bout » (23).

Figure 1

S. M. Eisenstein, dessin pour Glass House (1926-1930)

Et encore : « Une pendaison (suicide). Le cube (vide) avec les visages plaqués de tous les côtés (surtout le sol et les pieds !). Puis tous à l'intérieur en une foule compacte. Bagarre pour la corde : un cube d'hommes agglomérés qui flotte » (24). La conséquence de ce suicide est le chaos total dans sa maison, un chaos qui mène à sa destruction par un « homme mécanique », un « robot », qui, dans une des notes, sera présenté comme le même architecte qui avait construit la maison au départ.

Dans les notes pour Glass House, Eisenstein résume à plusieurs occasions la trame du film de façon très synthétique qui nous montre quels étaient les moments pour lui décisifs. Dans une note de décembre 1928, par exemple, la trame est synthétisée ainsi : « Prologue : Glace. (1) Inconscience / Curiosity for the public. (2) Jésus, conscience, honte. (3) Honte, spéculation. (4) Spéculations conflits. (5) Tragédies, catastrophes. (6) Epilogue, brisé » (25). Le mouvement qui conduit du prologue sur le thème de la glace à la vie dans une transparence dont on n'est pas conscient, et puis de la prise de conscience aux conflits qui mènent à la catastrophe finale avec la destruction de la maison y est décrit très clairement, et dans les schémas successifs ces étapes ne varieront pas. Ce qui changera seront certaines sous-trames, qui compliquent l'histoire sans toutefois en modifier la structure portante, et les connotations bibliques qu'Eisenstein donne à la trame à partir de la fin de 1928, quand il commence à appeller « Jésus » le personnage-clé qui bouleverse la vie dans la maison. C'est à partir de cette période qu'au registre comique et grotesque se superpose la dimension allégorique d'un drame fondé sur un schéma triadique : la confrontation entre l'architecte constructeur de la maison (nommé aussi « ingénieur » ou « vieux »), le poète-fou-psychopathe-idéaliste-Jésus qui dévoile la transparence, et le robot qui détruit la maison dans l'apocalypse finale, et qui se revèle être l'architecte lui-même.

Les registres du comique et du grotesque, de la satire politique et du drame chargé de symbolismes bibliques et eschatologiques, ainsi que d'évidentes reférences autobiographiques (le père d'Eisenstein était architecte, et Eisenstein lui-même avait étudié l'ingénierie des travaux publics avant de passer au théâtre), se mêlent donc dans ce projet de film, dont nous essayerons de donner une interprétation qui suivra trois différentes directions de lecture : (1) une lecture formelle, visant à analyser Glass House comme recherche sur une nouvelle façon de penser la composition du cadre et plus en général l'espace cinématographique, en jouant sur toutes les possibilités offertes par ce décor complètement transparent ; (2) une lecture politique, visant à montrer comment Eisenstein considérait Glass House soit comme un commentaire sur les dégénérations causées par la vie dans un système capitaliste qui conduisait selon lui à l'aliénation, l'individualisme exaspéré et le manque de solidarité sociale, soit comme une réponse sarcastique aux utopies liées à l'architecture de verre qui s'étaient répandues dans les années 1910 et 1920 en Allemagne et dans la Russie pré- et post-révolutionnaire, envisageant une vie future pleinement transparente ; (3) finalement, une lecture centrée sur la notion de cinématisme, visant à montrer comment dans Glass House Eisenstein fait jouer avec tout son potentiel l'idée que le cinéma peut se développer vers des directions nouvelles en se rapportant aux phénomènes de cinématisme qui se manifestent partout dans les arts et dans les formes de représentation qui l'entourent, en particulier l'architecture ouverte et la photographie concentrés sur les phénomènes de la transparence. Ces trois axes de lecture s'entrelaceront dans ce qui suit.


3. Transparence, surimpressions, variation des
points de vue : l'espace flottant de Glass House

Comme Eisenstein l'avoue clairement dans ses notes, l'un des enjeux principal du projet Glass House était la révision profonde de l'espace cinématographique traditionnel. En juin 1928 il écrit en allemand : "Sturz aufs Glas : Die Theorie der Einstellungskomposition basiert auf dem Konflikt von Vertikalen und Horizontaler, im Glass House ist alles umgekehrt" [Chute sur le verre : la composition du cadre se fonde sur le conflit de l'horizontale et de la verticale. Dans Glass House tout est renversé] (26). Les dessins qui accompagnent les notes et les pages de journal relatives à Glass House nous montrent comment cette mise en question de la composition du cadre fondée sur le rapport entre verticalité et horizontalité aurait eu lieu dans le film. On y trouve plusieurs dessins dans lesquels la transparence du gratte-ciel et l'orientation diagonale de l'objectif de la caméra auraient permis la vision simultanée de plusieurs espaces avec un mélange d'intérieur et d'extérieur : par exemple, l'intérieur d'une pièce et à travers ses parois le trafic en bas dans la rue (figure 2), ou encore la vision de plusieurs appartements de la maison, avec les personnes et le mobilier dedans, vus d'en bas vers le haut, en voyant simultanément aussi les autres gratte-ciel à l'extérieur (figure 3).

Figure 2

S. M. Eisenstein, dessin pour Glass House (1926-1930)

Figure 3

S. M. Eisenstein, dessin pour Glass House (1926-1930)

Dans cet espace transparent qui abolit la séparation entre intérieur et extérieur, entre public et privé, une divergence s'opère dans la première partie du film entre le point de vue du spectateur et celui des personnages : nous voyons ce qu'au départ ils ne voient pas, et qui sera la cause de la catastrophe finale quand ils le découvrent. C'est ainsi que les dessins nous montrent des scènes grotesques comme celle d'un homme et une femme qui font l'amour, inconscients du fait qu'on peut les voir à travers les murs ("Love scene through a water closet"), d'une femme mourante à côté de laquelle passent des ascenseurs pleins de gens indifférents, ou encore celle d'un homme riche qui boit dans un bar sans voir la femme et l'enfant réduits à la misère qui souffrent juste devant l'entrée, en pleine transparence.

Mais l'espace de Glass House n'est pas seulement un espace transparent et donc ouvert en toutes directions, en radicalisant l'ouverture évoquée au début et dont nous savons qu'elle représentait pour Eisenstein comme une réserve féconde et inépuisable d'effets de cinématisme. Glass House nous montre aussi un espace flottant : un "schwebender Raum" (27), comme Eisenstein écrit en allemand dans ses notes, sans centre de gravitation, où la transparence produit un effet irréalisant de légèreté et de dématérialisation plusieurs fois souligné dans les notes et dans les dessins. On y trouve des figures suspendues dans l'espace, presque dans des nuages (figure 4), ainsi que des cubes (pleins d'eau, de fumée, ou lumineux) qui flottent entre les étages de la maison (figure 5), ou encore des objets comme des meubles et des coffres-forts qui « flottent dans le verre ».

Figure 4
S. M. Eisenstein, dessin pour Glass House (1926-1930)

Figure 5
S. M. Eisenstein, dessin pour Glass House (1926-1930)

Dans ce monde, tout est donc suspendu, les personnes et les choses manquent de bases visibles qui les soutiennent, puisque même le sol est fait de verre transparent. Un verre qu'Eisenstein s'amuse à explorer dans toutes les variations possibles : verre coloré ; verre « lisse » ou « mat et gaufré » ; verres parfaitement transparents, invisibles, et verres « optiques », déformants ; verre brûlé par le feu, rempli par la fumée, investi par la pluie ou par la neige, troué par des clous ou par une mitrailleuse, et enfin la montagne de verre brisé dans la scène finale de la destruction de la maison (28)... Dans d'autres cas, Eisenstein explore les possibilités de montage dérivant d'un verre qui en même temps unit et sépare, permet de voir mais non d'écouter, ou encore joue avec les rapports entre deux types de transparence, celle du verre et celle de l'eau : il y a des notes qui parlent d'une cascade qui passe juste sous la maison, d'« un homme qui se noie aux yeux de tous (à cause d'un robinet cassé) et les autres ont peur d'ouvrir la porte par crainte que l'eau envahisse les pièces voisines », ou d'une piscine utilisée comme plafond (29).

En général, avec toutes ces variations sur les possibilités ouvertes par ce décor inédit, Eisenstein vise à produire chez le spectateur un effet continu de surprise et de désorientation. L'espace de Glass House est pensé comme un espace dérangeant, défamiliarisant, auquel le spectateur ne doit pas s'adapter. « La Maison de verre ? contre l'automatisme ! », déclare Eisenstein dans les notes, en avouant ainsi sa dette envers le formalisme de Chklovsky, dans lequel les notions d'« automatisme » et de « défamiliarisation » jouent un rôle central. « Au départ, le verre est ressenti comme motivant des angles inattendus. Ensuite [on est] "habitué" à cette bizarrerie [...] Puis quand le motif du verre est totalement oublié, heurter violemment, frontalement avec ce motif : par exemple en enfonçant brutalement des clous dans un mur de verre, etc. Effets d'un homme (dans ce cas précis, le spectateur) qui fonce dans un miroir, l'ayant pris pour le prolongement du couloir » (30).

Un instrument essentiel pour poursuivre ces effets de défamiliarisation et de désorientation du spectateur que visait Eisenstein dans Glass House est la variation continue des points de vue de la caméra. Ici la référence à Vertov et Moholy-Nagy que l'on trouve dans les notes (31) est particulièrement significative : Glass House est un film qui, comme L'homme à la caméra (1928) de Vertov et le scénario Dynamik der Grossstadt (1921-1922) ou encore les photos prises de points de vue inédits de Moholy-Nagy, célèbre le pouvoir optique et épistémique d'une caméra dont le regard traverse toutes les surfaces et rend visible l'intérieur de la maison comme dans une radiographie. Il s'agirait d'une caméra mobile et omnivoyante qui change incessamment de point de vue, ainsi qu'Eisenstein le souligne dans ses notes, insistant sur le fait que l'un des enjeux principaux du film serait la recherche de nouveaux points de vue : « prendre les actions les plus banales, and change the point of view ; prendre les types et les conflits psychiques les plus traditionnels and change the point of view [...] C'est là que se verront entrecroisées toutes les pistes de recherches de nouveaux points de vue. Tant pour la prise de vue que pour l'interprétation » (32). Grâce à ces variations continues de l'angle de vision, l'espace de Glass House finit par se présenter comme un espace fragmentaire, polycentrique ou a-centré (33), un espace que l'« écran monstre » auquel pensait

Eisenstein pour la vision du film aurait rendu encore plus difficile à saisir. Mais il y a encore un autre aspect de l'espace de Glass House qui devait constituer un défi continu pour le regard du spectateur, un aspect que nous avons déjà rencontré en commentant les dessins : le fait que la transparence de toutes les surfaces ? des parois, des sols et des plafonds, ainsi que des murs extérieurs du gratte-ciel ? donnait à voir dans chaque cadre et chaque plan plusieurs espaces simultanément, produisant des effets continus de surimpression. Il s'agit ici d'une des possibilités de montage qu'Eisenstein souhaite explorer à fond dans Glass House, après l'avoir utilisée à plusieurs reprises dans ses deux premiers films, La Grève (1924) et Le Cuirassé Potemkine (1925), ainsi que dans un des deux films qu'il tourne pendant qu'il écrit les notes pour Glass House, c'est-à-dire La Ligne générale (1926-1929). La surimpression comme « mélange d'images » (34) dans lequel plusieurs images sont entremêlées et visibles simultanément, et comme procédé de montage capable de produire un espace et un temps nouveaux, inédits, complexes, stratifiés. La surimpression, aussi, comme moment dans lequel se manifeste de façon évidente l'intervention du dispositif, son artificialité, avec le but de restituer en image une dimension qui n'est plus celle du simple enregistrement visuel d'un état de choses. Comme l'écrit Béla Balázs dans son Der Geist des Films (1930), « le fondu [Blenden] fait apercevoir le travail de la caméra, ce n'est plus la représentation naïvement objective du sujet. La caméra projette de son propre chef, par son propre mécanisme, quelque chose dans l'image qui n'a rien à voir avec l'apparence naturelle, effective, des choses. Le fondu est une expression purement subjective, donc purement intellectuelle, de la caméra [Das Blenden ist ein rein subjektiver, also ein rein geistiger Ausdruck der Kamera]. Il soustrait l'image de l'espace naturel et du découlement naturel du temps, et c'est pourquoi elle ne fait pas l'effet de quelque chose de vu, mais de quelque chose de pensé [darum wirkt es nicht wie gesehen, sondern wie gedacht] »(35).

Le cinéma des années 1920 avait utilisé souvent ce procédé de montage ? dans lequel se manifeste selon Aumont une sorte de mise en abîme du montage lui-même, une « forme condensée du cinématographique » (36) ? pour restituer sur l'écran des états de conscience qui n'étaient pas celui de la simple vision et qui étaient tous caractérisés par un plus de subjectivité et d'irréalité : mémoire, fantaisie, rêve, associations métaphoriques, trouble, folie, vertige... Eisenstein, qui réservera une place aux surimpressions et surtout à la genèse de ce procédé dans ses Notes pour une histoire générale du cinéma, s'en était servi dans ses films des années 1920 avec des buts très différents, considérant la surimpression comme faisant partie de la vaste exploration du procédé du montage qu'il conduisait tant dans ses films que dans ses écrits. Dans La Grève, par exemple, nous trouvons des cas de surimpression qui manifestent des intentions diverses : une roue d'usine qui s'arrête superposée à des bras d'ouvriers qui se croisent signifie le début de la grève ; un accordéon en premier plan superposé à un groupe d'ouvriers qui chantent vise à nous restituer même dans le cinéma muet la dimension du son (37) (figure 6) ; la superposition des visages des quatres espions avec ceux des animaux desquels ils dérivent leurs surnoms, nous révèle leur apparence décevante, et introduit le thème de la nature pénétrante de leur regard surveillant, un regard qui sera toujours souligné dans des scènes dans lesquelles on trouve à côté des surimpressions des jeux de reflets ou de distorsions de la vue par des miroirs, des verres ou des loupes.

Figure 6

S. M. Eisenstein, un photogramme extrait du film La Grève (1924-1925)

Dans un texte écrit plus tard, en 1937, et faisant partie de Montage, Eisenstein reconduit sa passion pour la surimpression dans La Grève comme tentative d'introduire aussi dans le cinéma la complexité spatiale de la peinture cubiste. Quand son exploration du procédé du montage s'oriente vers d'autres directions, son recours à la surimpression diminue fortement. Dans Le Cuirassé Potemkine, par exemple, elle apparaît seulement dans un cas : la vision des marins qui imaginent leurs compagnons pendus au mât principal du navire, après avoir été menacés de mort par le commandant s'ils n'acceptent pas de manger la viande avariée, ce qui a déclenché la révolte. Dans Octobre, on note le montage « conflictuel » avec lequel Eisenstein experimente d'autres voies que celle de la surimpression, procédé que nous retrouvons pourtant au coeur de La Ligne générale, au début de la séquence du rêve de Marfa Lapkina, qui songe le taureau Fomka avec des proportions gigantesques superposé à un ciel nuageux et dominant le troupeau des vaches fécondées, dans une image grandiose (figure 7), citation cachée du Géant de Goya (38) .

Figure 7

S. M. Eisenstein, un photogramme extrait de La Ligne générale (1926-1929)

Par rapport à tous ces usages de la surimpression dans les films qui précèdent ou accompagnent l'élaboration de Glass House, l'usage qu'Eisenstein fait de la superposition de plans dans ce projet est tout à fait particulier. Pour commencer, il ne s'agit pas ici de surimpressions réalisées par exposition repétée de la pellicule photosensible, mais d'un « effet de surimpression » généré par la spécificité de l'espace profilmique lui-même, dont la totale transparence rend visibles simultanément l'intérieur et l'extérieur, ainsi que les appartements dans lesquels se partage la maison de verre. À travers ces effets de surimpression, Eisenstein vise à bouleverser la composition traditionnelle du cadre, basée sur le contraste entre horizontal et vertical. L'espace « radiographié » de la maison de verre est au contraire un espace complexe, où les éléments portants de cette architecture ouverte donnent lieu à un jeu complexe de diagonales, un jeu presque abstrait qu'Eisenstein dans un dessin appelle « composition suprématiste », soulignant un rapport avec le suprématisme de Malévitch et le cinéma abstrait qui aurait été probablement présent aussi dans le prologue décrit comme « symphonie du verre ».

Ce bouleversement de l'espace cinématographique traditionnel par ces effets de surimpression produits à travers la transparence du profilmique, accentue ultérieurement l'effet d'étrangeté exercé sur le spectateur, présentant l'espace de Glass House comme un espace à la fois artificiel et onirique, grotesque et inquiétant. Un espace dystopique, conçu avec des intentions de critique sociale et politique qu'il s'agit maintenant de déchiffrer.


4. La ville de verre entre utopie et dystopie

La dimension politique du projet Glass House émerge clairement en lisant les notes et les pages de journal qui nous sont parvenus, et est inséparable de la dimension formelle qu'on vient d'analyser. L'espace de Glass House est un espace proprement social, un espace qui produit des formes de vie et nous invite à refléchir sur les enjeux politiques de cette architecture ouverte et transparente.

Tout d'abord il faut souligner que le film ? toujours appelé en anglais et parfois en allemand (Glashaus), mais jamais en russe était conçu par Eisenstein comme un « film américain », qui aurait dû mettre en scène une critique ironique et parodique de la société capitaliste américaine, avec ses divisions sociales exaspérées, sa competition exagérée, son individualisme, son manque de solidarité sociale, son aliénation. Avec son gratte-ciel de verre et son final apocalyptique, il était la réponse d'Eisenstein à la vision dystopique (mais avec réconciliation finale) de la métropole du futur à laquelle travaillait dans ces mêmes années Fritz Lang avec Metropolis, dont Eisenstein visita le set pendant sa visite à Berlin, en en discutant aussi le scénario avec Thea von Harbou. Metropolis dont l'idée originaire, comme Fritz Lang lui-même l'aurait avoué plus tard, lui était venue pendant sa première visite à New York en 1924 pour la première de Siegfrieds Tod (première partie de Die Nibelungen). Il avait été frappé, en s'approchant du port, par la vue du skyline de Manhattan avec ses lumières éblouissantes (39). Eisenstein conçoit son cauchemar de verre à Berlin, mais il essayera de réaliser ce « film américain » en 1930 en le présentant à la Paramount lors de sa visite à Hollywood sous invitation de Mary Pickford et Douglas Fairbanks : une tentative risquée, et dont la faillite ne nous surprend pas, vu que dans le film il voulait présenter une « mise en forme parodique du matériau de la vraie Amérique, l'Amérique des clichés hollywoodiens » (40). Les divergences entre Eisenstein et la Paramount furent telles, qu'après avoir essayé de proposer deux autres films, Eisenstein n'eut plus comme issue que de partir pour le Mexique avec l'aide financière de l'écrivain américain d'orientations socialistes Upton Sinclair, pour y tourner un autre film destiné à rester inachevé, Que viva Mexico !

Pourtant, les enjeux sociaux et politiques de Glass House ne peuvent pas être réduits à une parodie ou à un commentaire sarcastique sur l'Amérique hollywoodienne et les malaises du capitalisme, avec le but d'exalter au contraire la solidarité qui aurait régné dans la société socialiste en construction dans l'Union soviétique. Dans les notes de son journal, Eisenstein lui-même juge cette solution « un peu orthodoxe » : « Thème de l'individualisme et de l'isolement comme corrélats nécessaires de la concurrence chaotique. Inconcevabilité du collectivisme et ineluctabilité de l'entre-dévoration dans le milieu capitaliste. Opposer à la maison de verre qui se brise un village-commune, collectif idéal dont on peut ériger les fondations à cet endroit (Un peu orthodoxe ? mais que faire ? l'idée est belle) » (41). Le fait qu'Eisenstein déclare avoir conçu ce projet « sous l'influence des essais d'architecture de verre », nous invite à explorer plus attentivement les valeurs sociales, politiques, utopiques et dystopiques attribuées à cette architecture de verre dans les années 1910 et 1920, soit en Europe occidentale soit en Union soviétique, afin de pouvoir mieux établir quels étaient les « essais » auxquels il pouvait penser et quelle attitude il manifestait envers eux avec Glass House.

Comme nous verrons plus loin, les utopies liées à l'architecture de verre étaient répandues autant dans la Russie pré-révolutionnaire qu'en Union soviétique ? de Que faire ? (1863) de Tchernychevski aux visions du poète futuriste Khlebnikov, visions qui auraient inspiré fortement le côté plus utopique de l'architecture constructiviste soviétique dans les années 1920 ? qu'en Allemagne, de la Glasarchitektur (1914) de Scheerbart à l'imaginaire cristallin de Taut et de la Gläserne Kette dans les années 1910 et les premières années 1920. Des reférences à la vie dans l'architecture de verre se trouvent aussi dans les poésies d'un des représentants les plus connus du futurisme littéraire italien, Aldo Palazzeschi (42), ainsi que dans Nadja (1928) de Breton (43). Benjamin, de son côté, parle de l'architecture de verre dans son essai sur le surréalisme, il commente à plusieurs reprises la valeur utopique attribuée à l'architecture de verre par Paul Scheerbart, et, comme nous le verrons ensuite, arrive à dire que celle-ci était un des signes du déclin de l'aura dans la culture moderne. Parallèlement à tout ça, dans l'Union soviétique des années 1920 se développe une idéologie de la vie en commun, qui s'exprime souvent dans des projets qui font largement recours à la transparence du verre, et qui visent à la réalisation d'espaces sociaux (maisons, résidences pour étudiants, clubs ouvriers) qui soient le plus possible ouverts, des espaces dans lesquels la dimension privée des individus aurait été réduite au minimum. Cette idéologie, qui parfois s'exprimait avec des projets de vrai contrôle totalitaire sur la vie des individus, aurait produit dans l'Union soviétique sa contre-réponse dystopique, qui prend une forme hallucinée dans le roman Nous autres (1920-1921) de Zamiatine.

Considérées ensemble, toutes ces références compliquent l'interprétation des enjeux sociaux et politiques de Glass House, et nous invitent à réfléchir sur la possibilité qu'à côté de la critique du capitalisme américain on puisse trouver aussi dans ce projet un commentaire sur les utopies liées à l'architecture de verre qui s'étaient répandues dans les années 1910, de Khlebnikov à Taut, et une confrontation avec la vision dystopique qu'on trouvait dans le roman de Zamiatine, interdit en Union soviétique mais qu'Eisenstein aurait pu lire dans une des éditions qui circulaient à l'étranger. Dans la Russie pré-révolutionnaire, la valeur utopique de l'architecture de verre est étroitement liée au nom de Tchernychevski et à son roman Que faire ? de 1863 (44). Philosophe matérialiste, socialiste utopique fortement critique de la société tzariste, Tchernychevski nous montre dans son roman allégorique deux personnages qui sont des vrais modèles de comportement révolutionnaire, Rakhmetov et Vera Pavlovna. Celle-ci, dans un des ses rêves décrits dans le roman, après nous avoir livré un aperçu des diverses formes de répression de la femme dans l'histoire couronné par la figure de la femme libre et égale à l'homme, « celle qui aime et est aimée » (45), décrit la société du futur, régie par cet amour symétrique, comme une société qui vit dans un paysage rural au centre duquel il y a plusieurs immenses bâtiments « avec une structure de fer et les parois de cristal », tels que chacun d'eux paraît « un grandiose jardin d'hiver » (46). Le modèle est clairement celui du Crystal Palace réalisé par Joseph Paxton pour la Great Exhibition de 1851 à Londres, initialement construit à Hyde Park puis déplacé à Sydenham Hill, avant d'être détruit par un incendie en 1936. Un bâtiment qui traverse la littérature utopique du xixe siècle comme manifestation concrète de la possibilité d'une architecture autre : ouverte, légère, parfaitement intégrée avec la nature, spectaculaire.
Le fait que Dostoievsky ait commenté dès 1864 avec un sarcasme non voilé le rêve de Tchernychevski dans ses Carnets du sous-sol, n'aura pas empêché que l'architecture de verre devienne l'objet d'autres visions du futur dans des années proches de la révolution de 1917. Dans son Nous et les maisons (1914-1915) (47), le poète futuriste Velimir Khlebnikov nous présente une ville du futur transparente et lumineuse, dans laquelle les individus vivent dans des habitations de verre, des petits cubes mobiles, identiques les uns aux autres. La ville imaginaire rêvée par Khlebnikov est composée de bâtiments-métiers de forme diverses ? ponts, arbres, navires, filaments, tubes, livres ouverts..., suspendus dans l'air, sur lesquels les petites habitations-modules de verre s'accrochent les unes aux autres, prêtes à repartir pour des nouveaux voyages dans ce monde régi par le culte du soleil et de la lumière.

Une vision de la ville qui aurait influencé le côté plus utopique de l'architecture constructiviste soviétique des années 1920, et dont nous retrouvons les traces dans des projets comme la tour radio Shabolovka de Shuchov à Moscou (1922), le Monument à la Troisième Internationale de Tatline (1919-1920), les gratte-ciel appelés Wolkenbügel de El Lissitzky (1923-1920), et surtout la Ville volante de Georgii Krutikov (1928), un projet visionnaire conçu dans l'atelier dirigé par Ladovski au Vkhutemas, l'école soviétique d'art et architecture active entre 1920 et 1930 où se développait le courant le plus utopique de l'architecture constructiviste.

Dans l'Allemagne des années 1910, l'utopie de l'architecture de verre prend une forme qui est influencée en même temps par l'héritage du romantisme et par le militarisme dominant au début de la première guerre mondiale. Dans son Glasarchitektur (1914), Paul Scheerbart se dit convaincu du fait qu'une réforme de la société doit passer par une révolution dans les modes d'habitation, du moment que chaque civilisation est « le produit de son architecture » (48). La vieille architecture de pierre, bois et briques
? lourde, fermée, opaque ? doit être remplacée par une nouvelle architecture légère, ouverte, transparente, lumineuse et spectaculaire. Une architecture faite de verre coloré qui soit capable de mettre les individus en relation directe avec le paysage et le spectacle cosmique qui les entoure : les maisons décrites par Scheerbart dans son livre curieux sont baignées pleinement par la lumière du soleil et par la lueur de la lune et des étoiles, sans que celles-ci soient encadrées par la forme rectangulaire de la fenêtre, vrai symbole de la perte d'une relation libre et ouverte avec la nature et le cosmos. Cette architecture visant à répandre dans le monde la jouissance d'une beauté libre, sans fins, aurait été capable selon Scheerbart de contraster avec le militarisme et la violence dominants dans une société qui s'était plongée dans la guerre.

Cette vision irénique est complètement partagée par Bruno Taut, qui trouve dans les livres de Scheerbart la formulation d'une utopie du verre et de la transparence qu'il poursuit tant dans son projet-manifeste du pavillon de l'exposition du Werkbund à Cologne en 1914, que dans ses livres des années 1910 entre autres Die Stadtkrone (1919), Alpine Architektur (1919-1920), Der Weltbaumeister (1920) (49) que, finalement, dans les lettres et dessins qu'il fait circuler entre les membres de la « chaîne de verre », la Gläserne Kette, un groupe d'architectes et d'artistes qu'il avait réunis pour discuter ces idées. Traversés par des motifs qui proviennent tant du symbolisme du cristal répandu dans le romantisme allemand que de la mystique de Meister Eckhart, et animés par un vrai culte de l'architecture des cathédrales gothiques avec leurs grands vitraux colorés, les dessins et les textes de Taut présentaient une vision de l'architecture de verre qui était soit le couronnement purement esthétique de la ville du futur (Die Stadtkrone), soit une formation cristalline surgissant spontanément de la terre et se projetant vers le ciel infini (Alpine Architektur, Der Weltbaumeister). Dans les deux cas, il s'agissait d'une architecture conçue comme objet de pure jouissance esthétique, sans aucune finalité pratique, sauf celle de rétablir les liens entre les individus et le spectacle cosmique qui les entourait. Une architecture qui, par sa nature symbolique et son aspect cristallin, aurait dû s'imposer comme point de départ pour l'établissement d'une nouvelle communauté pacifique fondée sur des bases purement spirituelles. Une idée dont nous retrouvons les traces dans le Programme du Bauhaus de Weimar écrit par Gropius en 1919, lorsqu'il parle de l'architecture, oeuvre d'art total du futur comme « symbole cristallin d'une nouvelle foi à venir », et lorsqu'il choisit comme image pour accompagner ce programme une gravure sur bois de Lyonel Feininger qui rappelle de près l'iconographie de Taut et de la Gläserne Kette (50).

Si d'un côté Glass House peut être interprété comme une critique sarcastique de ces utopies du verre et de la transparence, qui au milieu des années 1920 en Allemagne avaient été abandonnées par leurs mêmes initiateurs, Taut s'engage activement dans des projets d'architecture sociale et abandonne les rêveries des années de l'immédiat après-guerre, et le Bauhaus de Gropius en 1923 abandonne l'orientation expressionniste des premières années pour suivre la voie d'une intégration de la recherche artistique avec le progrès de la technique industrielle, de l'autre côté le projet de film d'Eisenstein peut être lu aussi en relation avec l'idéologie de la vie en commun qui s'était répandue dans l'Union soviétique des années 1920. Cette idéologie, qui avait ses racines dans le socialisme utopique du xixe siècle, pensons aux phalanstères imaginés par Fourier, s'était déployée dans les premières années après la guerre civile avec l'expropriation des maisons bourgeoises destinées à accueillir plusieurs familles, souvent une par pièce, et avait donné lieu par la suite à tout un courant de l'architecture constructiviste qui avait pour but le projet de structures pour la vie en commun : maisons, résidences pour étudiants, clubs ouvriers (51). Eisenstein connaissait bien, personnellement, l'excitation et les difficultés de la vie en commun, vu que, à partir de 1920, il avait habité dans une maison commune qu'il n'aurait laissée qu'en 1934 (52).

À partir du milieu des années 1920, ces structures pour la vie en commun commencent à être pensées comme de vrais « condensateurs sociaux », comme affirme l'architecte Moisei Ginzburg en 1928 à la première conférence du groupe constructiviste OSA : « le principal objectif du Constructivisme [...] est de définir le condensateur social de l'époque ». Dans cette perspective, l'architecture était conçue comme capable d'influencer les comportements sociaux et même la conscience des individus, afin de contribuer à la construction de la nouvelle société socialiste. Avec les autres arts, elle participait au même projet général de réforme de la sensibilité, de la pensée et des modes de vie formulés par l'idéologie constructiviste. Les idées mêmes de « montage des attractions » ou de « cinéma intellectuel » élaborées par Eisenstein dans les années 1920 participent tout à fait de ce courant.

Organisation des espaces par l'architecture, donc organisation de la vie : une idée partagée dans cette période autant par les architectes constructivistes soviétiques qu'en Europe occidentale, par les théoriciens du Bauhaus, et par des architectes comme Le Corbusier, avec son idée de la maison comme « machine à habiter » (53). Dans ce contexte, l'architecture de verre jouait un rôle central. Sa transparence n'était pas seulement un symbole de modernité, une annonce du futur à venir, mais aussi un trait qui aurait dû contribuer à introduire transparence, solidarité et harmonie dans les relations sociales. Avec son ouverture et ses connotations utopiques, elle était l'un des véhicules de l'idéologie communautaire, une idéologie qui, dans la deuxième moitié des années 1920, se serait manifestée soit dans des projets relativement « modérés » comme la Dom kommuna Narkomfin (1928-1930) de Ginzburg, qui maintenait encore des espaces pour la vie privée des familles, soit dans des projets beaucoup plus radicaux comme ceux de Kuzmin et Nikolaev pour des résidences d'étudiants. Projets qui parfois adoptaient des formes circulaires convergentes vers un espace central commun, et qui visaient à une planification rationnelle et totale de la vie dans ces « incubateurs » de la nouvelle société.

Kuzmin et Nikolaev avaient accompagné leurs projets avec des écrits qui nous donnent la mesure du contrôle totalitaire qui était visé par cette architecture ouverte pensée pour la vie en commun. Dans son écrit intitulé « Problèmes de l'organisation scientifique de la vie quotidienne » (1930), Kuzmin présentait un schéma de la vie dans la maison commune qui aurait dû orienter le travail de l'architecte, et qui partageait une journée de 16 heures (de 6 heures du matin, à 10 heures du soir) en une série d'activités scandées avec extrême précision : toilette (10 minutes), s'habiller (5 minutes), se déshabiller à la fin de la journée (7 minutes), etc. (54). Nikolaev, de son côté, assignait à chaque couple d'étudiants une cabine de 6 m2 pour dormir, qui devait être abandonnée au début de la journée et rester totalement fermée et inaccessible jusqu'à la nuit suivante. Tout le reste de la journée dans cette « machine totale » pour la formation de l'individu socialiste aurait été passée dans des espaces communs : salles de gymnastique, bains, salles à manger, classes, salles de lecture. La dimension privée était presque supprimée, sauf pour les heures de la nuit, pendant lesquelles, pourtant, Nikolaev n'excluait pas la possibilité d'avoir recours au gaz pour « favoriser le sommeil ».

Vu le caractère totalitaire de ce projet de contrôle de l'existence à travers le projet d'une architecture faite d'espaces les plus possibles ouverts, ce n'est pas une surprise si cette idéologie de la vie en commun donne lieu à des visions dystopiques comme celle que nous présente Zamiatine dans son roman Nous autres (55), paru déjà en 1920-1921 mais interdit en Union soviétique pour son caractère « anti-révolutionnaire ». Dans le monde futur qui nous est présenté par Zamiatine, les hommes et les femmes ont perdu leur nom, et s'appellent avec des chiffres et des lettres : consonnes pour les hommes, voyelles pour les femmes. Toute leur vie est régie par un État Unique qui assigne le travail, discipline le temps libre, et contrôle même les rencontres sexuelles, qui peuvent avoir lieu seulement avec des permis spéciaux, et qui sont les seuls moments pendant lesquels les individus peuvent se cacher à la vue des autres. Tout le reste se joue en pleine transparence. Le monde de Nous autres est un monde entièrement de verre, où tout est visible et contrôlé par le Bienfaiteur et ses « numéros-espions », et où le seul reste du monde passé est la Maison Ancienne conservée à la limite extrême de l'État Unique. L'opposition entre le monde nouveau et le monde ancien ne pourrait être plus nette. Le premier est totalement transparent, et le verre y est symbole de beauté, pureté, éternité, solidité, perfection.

Dans ce monde transparent et uniforme, les hommes et les femmes n'ont rien qui leur appartienne, ni qui puisse laisser de traces de leur individualité. L'architecture de verre est ici un instrument de dépersonnalisation, symptôme d'une perte d'individualité, comme nous le lisons dans la description d'une vue ayant des fortes analogies avec l'espace qu'Eisenstein avait imaginé pour Glass House : « à droite et à gauche, à travers les parois de cristal, il me semble de voir moi-même, ma chambre, mes vêtements, mes mouvements, repétés pour des milliers de fois. Ça te donne du courage : tu te vois comme faisant partie d'un Unique énorme, imposant. D'une telle beauté, parfaite : aucun geste superflu, aucune nuance, aucune rupture » (56). Cette même association entre architecture de verre et perte d'individualité nous la trouvons aussi chez Benjamin dans son essai Expérience et pauvreté, là où, commentant l'utopie du verre chez Scheerbart, il écrit que « le verre est ennemi du secret [...] et de la possession », et que dans les espaces de verre « il est difficile de laisser des traces » (57). Pourtant, le rôle social joué par l'architecture de verre chez Benjamin est opposé à celui qu'elle joue chez Zamiatine. Dans celui-ci, le verre est le symbole de la totale annihilation de la liberté par un régime totalitaire qui ne se limite pas à rendre transparentes les maisons, mais veut que les consciences aussi soient transparentes, parfaitement « radiographiables » par le regard omnivoyant du Bienfaiteur et de ses gardiens. Chez Benjamin, au contraire, la transparence, la froideur et la sobriété du verre s'opposent à la chaleur et à l'intimité de l'intérieur de la maison bourgeoise, mais celle-ci est une intimité repliée sur elle-même et pleine d'une aura que l'architecture de verre contribue à détruire avec sa force révolutionnaire. Dans son essai sur le surréalisme, commentant Nadja de Breton, Benjamin écrit que « vivre dans une maison de verre est, par excellence, une vertu révolutionnaire. Cela aussi est une ivresse, un exhibitionnisme moral dont nous avons grand besoin. La discrétion sur ses affaires privées, jadis vertu aristocratique, est devenue de plus en plus le fait de petits-bourgeois arrivés » (58).

Quel est le statut de Glass House par rapport à ces diverses positions qui voient dans l'architecture de verre soit la concrétisation d'une utopie d'harmonie sociale et cosmique, soit un geste révolutionnaire capable de rompre avec le passé, soit la manifestation d'un cauchemar totalitaire ? Où se situe le projet d'Eisenstein entre le socialisme rural de Tchernychevsky et les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve cristallin de Taut et de la Gläserne Kette et le monde dystopique de Zamiatine ? L'architecture de verre joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu révolutionnaire » qui lui est attribué par Benjamin ? En lisant les notes qui nous sont parvenues, la maison de verre au centre de Glass House nous apparaît de plus en plus comme une expérimentation, qui, d'un côté, échoue de façon catastrophique, et de l'autre libère des possibilités innombrables à explorer.L'expérimentation qui se solde par un échec catastrophique est l'expérimentation politique de la vie dans l'architecture de verre. Dans Glass House, cette vie dans la transparence, au moment où la transparence devient visible, n'est pas une vie vouée à la contemplation du spectacle cosmique qui entoure la maison (Scheerbart, Taut), ni une vie caractérisée par la glorification de la mobilité et de la légèreté (Khlebnikov), ni encore une vie où la transparence est symbole d'une harmonie dans les relations sociales. La visibilité de tout et de tous déclenche en Glass House l'égoïsme et la haine, et cette expérience se termine avec la catastrophe finale.

De l'autre côté, l'expérimentation qui n'échoue pas mais qui, au contraire, libère des énergies inattendues, est l'expérimentation esthétique visant à explorer le cinématisme de l'architecture de verre : sa spectacularité, les réflexes et les surimpressions qui s'y produisent, sa capacité d'aider le cinéma dans le projet de remettre en question les formes traditionnelles de la composition des cadres et des plans. Ce projet esthétique, qui tout comme le commentaire politique et social est au centre de Glass House, pouvait s'appuyer sur l'exploration de l'expérience sensible dans l'architecture de verre qui avait été faite par les mêmes auteurs qui en avait exalté la dimension utopique ou qui l'avaient condamné comme expression de totalitarisme : Khlebnikov, Taut, les architectes constructivistes, Zamiatine. Dans tous leurs écrits et projets, l'architecture de verre est présentée comme lieu d'une expérience esthétique nouvelle, intense, capable de transformer l'horizon sensoriel de l'individu moderne.


5. Le cinématisme de l'architecture de verre

Comme nous l'avons vu auparavant, en parlant de la reférence au Crystal Palace de Paxton dans le roman de Tchernychevsky, les raisons pour lesquelles l'architecture de verre se prêtait à être considérée comme modèle d'une architecture utopique étaient son ouverture, sa légèreté presque immatérielle et flottante, et surtout sa spectacularité : le fait qu'une fois à l'intérieur d'une construction de verre, on pouvait contempler le spectacle du paysage et du ciel qui l'entouraient, à travers tout un jeu de reflexes, de surimpressions, de transparences. L'expérience sensorielle dans l'architecture de verre était une expérience esthétique intensifiée, dans laquelle tous les sens, à partir de la vue, étaient sollicités d'une façon nouvelle. Tchernychevsky nous parle du bâtiment de verre au centre de la société du futur comme d'une construction qui symbolise une vie qui baigne dans la lumière, une lumière qu'il faut entrevoir même dans les ombres du présent. Khlebnikov nous présente la vie future comme une vie constamment en mouvement, où les habitants « ailés », suspendus dans leur petits cubes de verre mobiles, regardent la ville d'en haut : « les gens regardent maintenant la ville de côté ; dans le futur ils la regarderont directement d'en haut. Le toit sera la chose la plus importante, l'axe de la structure élévée. [...] Les foules de la ville ne se se promèneront plus à pied, ni avec leurs collègues à quatre jambes ; ils auront appris à voler au dessus de la ville, en jetant leurs regards vers la place en bas ; en dessus de la ville il y aura un nuage qui examinera le travail des constructeurs, une menace aux toits fragiles, comme un orage ou une tornade » (59).

Dans Glass House, l'expérience visuelle n'est pas seulement bouleversée par le fait de se trouver dans un espace totalement transparent, mais aussi par le fait de se trouver à l'intérieur d'un gratte-ciel, une structure qui introduit une dimension de verticalité inconnue auparavant. Cette idée de la métropole moderne, pleine de gratte-ciel, comme un lieu qui soumet ses habitants à une expérience visuelle nouvelle, se trouve aussi au centre du livre d'un architecte très influent dans les années 1920, Erich Mendelsohn, intitulé Amerika. Bilderbuch eines Architekten. Mendelsohn nous présente la métropole américaine (New York et Chicago surtout) comme le lieu du gigantesque et du grotesque : le lieu où l'énormité des gratte-ciel doit être restituée avec de nouveaux points de vue, et où le vertige des nuits pleines de trafic et de lumière peut être capté seulement en forçant l'appareil photographique à aller au-delà de son usage traditionnel, par exemple en produisant des surimpressions. Moholy-Nagy dans son projet de film Dynamik der Grosstadt et Rodtchenko dans ses photos explorent aussi la ville de tous les points de vue possibles, tandis que Rodtchenko dans un article publié dans la revue Novy Lef en 1928 avoue sa dette envers le livre de Mendelsohn, et écrit : « Nous devons redécouvrir de nouveau le monde visible. Nous devons révolutionner notre savoir optique. Nous devons arracher le voile devant nos yeux [...] Les angles de vision les plus intéressants d'aujourd'hui sont ceux du haut vers le bas, et du bas vers le haut, ainsi que les diagonales » (60).

Glass House participe complètement de cette vision de la ville comme spectacle éblouissant, et, en regardant les dessins d'Eisenstein, il semble que le film aurait comporté beaucoup de scènes au cours desquelles les lumières à l'intérieur de la maison auraient interagi avec les enseignes lumineuses ou les phares des automobiles à l'extérieur. Avec la mobilité constante de la caméra, il aurait présenté la ville comme un espace complexe, sans un centre unique, mais plutôt objet d'une multiplicité de regards qui ne pouvaient pas être réduits à l'unité d'une seule perspective. Dans son essai sur le « montage vertical » écrit en 1940 (61), il fait reférence à un article de René Guilleré intitulé « Il n'y a plus de perspective » pour rendre cette même idée de la ville qui nous est montrée dans Glass House : « L'aspect des villes modernes, surtout celui d'une grande ville la nuit, est nettement l'équivalent plastique du jazz. Ce qui y est particulièrement remarquable, c'est ce qu'indique Guilleré : l'absence de perspective. Toute notion de perspective et de profondeur réaliste est balayée par le flot nocturne de la publicité électrique. Proches et lointaines, petites (au premier plan) et grandes (dans le fond), jaillissant en l'air et s'évanouissant, courant et tournoyant, éclatant et disparaissant, toutes ces lumières tendent à abolir toute notion d'espace réel, se fondent enfin en un seul plan de points lumineux colorés et de lignes de néon, bougeant sur le fond du velours noir du ciel. [...]. Les phares des autos qui roulent, les lumières des tramways qui passent, les reflets miroitants sur les pavés humides, ou les reflets dans les flaques d'eau qui détruisent complètement notre sens de direction (qu'est-ce qui est en haut ? qu'est-ce qui est en bas ?) ajoutant au mirage posé au-dessus de nous un mirage en dessus de nous » (62).

Cette mobilité des points de vue sur la métropole moderne à travers le verre était célébrée aussi par les projets les plus utopiques du constructivisme russe, ainsi que par ce grand monument « proto-constructiviste » qui est le Monument à la Troisième Internationale (1919-1920) de Tatline. Dans cette gigantesque tour inclinée, composée de deux spirales enveloppantes de métal poussant vers le haut, il aurait dû y avoir quatre solides de verre en perpétuelle rotation : en partant du bas, un cube, une pyramide, un cylindre, et une demi-sphère au sommet. La rotation prévue avait des vitesses diverses : un tour complet chaque année pour le cube en bas, siège et symbole du pouvoir législatif ; un tour complet chaque mois pour la pyramide, destinée au pouvoir executif ; enfin, un tour chaque jour pour le cylindre, centre d'information duquel on aurait envoyé des messages aux prolétaires du monde entier par télégraphe, téléphone et radio, ou à l'aide de projecteurs qui auraient projeté des images et des slogans sur des écrans ou sur les nuages. Dans ce monument communicatif et multimédial, sûrement inspiré par les écrits de Khlebnikov dont Tatlin était un grand ami et dont il vénérait les écrits, la structure en spirale et la rotation des solides flottants auraient dû donner une impression d'énergie incessante, capable de lancer un défi à la loi de gravitation. Les solides de verre lui auraient donné un aspect fortement spectaculaire : leur transparence aurait consenti une vision sans limites de l'extérieur vers l'intérieur et vice versa, symbole d'une pleine coparticipation entre le gouvernement et son peuple, et leur rotation aurait offert aux spectateurs au dedans et au dehors des points de vue toujours changeants.

À l'extrémité opposée de l'imaginaire constructiviste ? soit par les diverses reférences philosophiques et littéraires qui les animent, soit parce qu'au vertige de la métropole moderne se substitue la solitude inaccessible des cimes des Alpes et de l'espace sidéral ? les visions cristallines de Taut célébraient aussi, d'une façon différente, la spectacularité de l'architecture de verre. L'espace intérieur de son pavillon réalisé à l'exposition du Werkbund à Cologne en 1914, ainsi que les intérieurs des structures cristallines que nous voyons dans les dessins de Alpine Architektur et du Weltbaumeister sont des espaces prismatiques et ouverts qui présentent aux visiteurs éblouis un spectacle kaléidoscopique en mouvement perpétuel. C'est le spectacle du soleil et du ciel étoilé qui entoure ces maisons, traduit en un jeu de réflexes et de projections par leurs vitres colorées.

Dans ses livres, Taut élabore la vision mystique formée par cet espace grâce à un montage de plans qui, page par page, conduit l'oeil à travers un trajet cosmique qui atteint son sommet lorsqu'on découvre l'intérieur de la Kristallhaus. Dans Der Weltbaumeister, présenté par Taut comme un Architektur-Schauspiel für symphonische Musik et organisé en forme de montage séquentiel de dessins, l'oeil du lecteur se retrouve à suivre un trajet dans un espace sans aucune présence humaine. Tout d'abord, après que les rideaux ouverts nous aient montré une scène vide, toute jaune, une cathédrale gothique apparaît et pousse vers le haut.

Figure 9

B. Taut, dessin pour Der Weltbaumeister (1919)

Une fois qu'elle s'est élevée complètement et nous a dévoilé son intérieur lumineux et coloré, la cathédrale s'incline et puis s'écroule au sol.

Figure 10

B. Taut, dessin pour Der Weltbaumeister (1919)

Après une autre scène vide, cette fois d'un bleu foncé, nous nous trouvons au milieu du ciel étoilé, dans lequel apparaît une étoile de cristal qui commence à danser.

Figure 11

B. Taut, dessin pour Der Weltbaumeister (1919)

Retournant sur la terre, on voit pousser des petits bourgeons, des petites maisons au centre desquelles surgit une gigantesque Kristallhaus illuminée, dont l'intérieur nous est présenté en trois cadres successifs : un espace merveilleux (« es öffnet sich, zeigt seine inneren Wunder »), avec des « cascades lumineuses », et partout du verre étincelant (« überall blitzendes Glas »).

Figure 12

B. Taut, dessin pour Der Weltbaumeister (1919)

Tout se bouge et glisse dans cet intérieur kaléidoscopique (« Bewegen und Fliessen aller seiner Elemente ») envahi d'étincelles colorées, dans lequel le spectateur vit une expérience de fusion totale, mystique, avec le Tout (« Völlige Entfaltung, Sterne durchschimmern die Kristalltafeln, Architektur, Nacht, Weltall, eine Einheit... ») (63).


6. Conclusions : un cinéma ouvert

Bien qu'il se moque dans Glass House de cette foi romantique en la fonction rédemptrice de la transparence propre aux visions de Taut, Eisenstein était fort intéressé par l'exploration de toutes les variations possibles sur les effets de cinématisme produits par cette architecture comme par toute architecture de verre. Effets de cinématisme qu'il trouvait autant du côté utopique que du côté dystopique de tous les exemples que nous avons analysés : dans le roman de Tchernychevsky, dans les visions de Khlebnikov et des constructivistes russes, dans les dessins de Taut, aussi bien que dans les pages de Zamiatine, avec leurs descriptions de la vision en surimpression des chambres toutes identiques dans les maisons de verre qui se repétaient à l'infini. L'architecture de verre sous ses diverses formes était donc un monde de phénomènes de cinématisme qu'il fallait explorer dans toutes ses dimensions, avec la même curiosité inépuisable qu'Eisenstein aurait démontré après Glass House dans ses écrits successifs. Inspirée par l'ouverture de l'architecture de verre, l'idée de cinéma qui émerge des notes et des dessins de Glass House est l'idée d'un cinéma lui-même ouvert. Un cinéma élargi : au sens littéral d'un élargissement des possibilités de composition du cadre dans toutes les directions, mais aussi au sens d'une pleine ouverture à toutes les sollicitations provenant des autres arts, en commençant par l'architecture. Un cinéma qui serait ni fermé sur lui-même ni voué à la défense de sa spécificité, mais qui serait à penser plutôt comme une présence latente dans tous les arts, une présence dont il s'agirait de découvrir encore tout le potentiel latent.


Antonio Somaini
Utopies et dystopies de la transparence. Eisenstein, Glass House, 
et le cinématisme de l'architecture de verre.

Revue Appareil - n° 7 - 2011


1. Ces Notes, encore en grand partie inédites, se trouvent avec le titre "Zametki k vseobshtchey istorii kino" dans l'archive RGALI (Rossijskij Gosudarstvennyj Archiv Literatury i Iskusstva), fond 1923, inventaire n° 2, document 1021, et m'ont été transmises par Naum Kleiman, responsable de la maison-musée Eisenstein à Moscou, que je remercie vivement. D'autres notes se reférant à ce même projet ont été publiées par Naum Klejman dans la revue Kinovedcheskie zapiski, n° 100, p. 100-104, avec le titre "Mesto kinematografa v obshtchey sisteme istorii iskusstv".
2. S. M. Eisenstein, Metod, éd. par N. Kleiman, vol. I et II, Moskva, Muzej Kino, 2002 ; Id., Montage, éd. par N. Klejman, Moskva, Muzej Kino, 2000 ; Id. La non-indifférente nature, Paris, UGE, 1976 (vol. 1) et 1978 (vol. 2), avec préfaces de P. Bonitzer et F. Albéra.
3. Sur ce terme, cf. l'Introduction de F. Albéra à S. M. Eisenstein, Cinématisme. Peinture et cinéma, Dijon, Les Presses du réel, 2009.
12. La première publication des notes d'Eisenstein pour ce projet fut celle de la revue Iskousstvo kino n° 3, mars 1979, dans une édition établie par Naum Kleiman sur la base des textes retrouvés dans les archives du cinéaste déposées au TsGALI (Archives d'État pour l'art et la littérature, aujourd'hui RGALI). Sur la base de cette édition sont parues après des traductions en italien et en français : "La casa di vetro", in Film Critica, n° 300, novembre-décembre 1979, reprise dans F. Salina (dir.), Ejzentejn inedito, Rome, Bulzoni, 1980 ; « Eisenstein. Glass House : notes pour un film », in Faces. Journal d'architecture, n° 24, été 1992. Une édition en allemand établie par Oksana Bulgakowa est parue en 1998 dans le volume Eisenstein und Deutschland. Texte, Dokumente, Briefe, Berlin, Akademie der Künste, p. 17-38. L'édition sur laquelle nous avons travaillé est celle établie récemment par F. Albéra : S. M. Eisenstein, Glass House, Introduction, notes et commentaires de F. Albéra, Dijon, Les Presses du réel, 2009 [dorénavant abrégée en GH suivi par le numéro de la page], avec une introduction et un essai de F. Albéra intitulé « Destruction de la forme et transparence. Glass House : du projet de film au film comme projet » (p. 81-101). Par rapport aux éditions de Kleiman et Bulgakowa, l'édition établie par Albéra se différencie par le fait qu'elle distingue les notes sur Glass House qui ont été cataloguées dans l'archive RGALI des pages du Journal de travail d'Eisenstein sur ce même projet et par le fait qu'elle publie l'intégralité des notes en question. Sur ce projet le groupe Le Silo a organisé une séance auprès de l'INHA de Paris le 12 janvier 2010 avec une communication de Ada Ackerman. Les textes recueillis pour la séance écrits par A. Ackerman, S. O. Wallenstein, O. Bulgakowa et G. Amalvi, avec un entretien avec M. Stavrinaki se trouvent sur le site du Silo à l'adresse suivante : http://lesilo.blogspot.com. Cf. aussi D. Dottorini, " Glass House. Trasparenza e opacità del cinema", dans Fata Morgana, n° 3 (2007) ("Trasparenza"), Cosenza, Pellegrini, 2007, p. 45-54.
13. Ibid., p. 26
14. Ibid., p. 79
15. S. M. Eisenstein, "IA28" (1928) [traduction d'une page dans Eisenstein et le constructivisme russe et intégrale dans Cinémas, vol. 11, n° 2-3, 2001] ; Id., « Dramaturgie de la forme filmique » (1929), traduit, présenté et commenté sous le titre ["Stuttgart"] par F. Albéra dans son Eisenstein et le constructivisme russe, L'Age d'Homme, Lausanne 1990, p. 11-109; « Perspectives » (1929), tr. par L. et J. Schnitzer, in S. M. Eisenstein, Oeuvres, I. Au-delà des étoiles, Paris, UGE ? Cahiers du cinéma, 1974, p. 185-201 ; Id., « Hors-cadre » (1929), traduit sous le titre « Le principe du cinéma et la culture japonaise (avec une digression sur le montage et le plan) », dans Le Film : sa forme, son sens, trad. dirigée par A. Panigel, Paris, Bourgois, 1976 ; « Un point de jonction imprévu » (1928), in ibid.; « La quatrième dimension au cinéma » (1929), in ibid..
16. Les notes sur ce projet se trouve dans Iskousstvo kino, n° 1, 1973, trad. : S. M. Eisenstein, "Notes for a Film of 'Capital'", trans. by M. Sliwowski, J. Leyda, A. Michelson, October, vol. 2 (Summer 1976), [en français dans Amengual, Que Viva Eisenstein !, L'Age d'Homme, 1980 chap. « Un film sur "le Capital" » p. 585-606].
17. Cette note du 5 août 1929 est citée par François Albera dans Eisenstein et le constructivisme, op. cit., p. 17, par Naum Kleiman dans l'édition italienne du texte intitulé « Dramaturgie de la forme filmique » : cf. S. M. Ejzentejn, Il montaggio, a cura di P. Montani, Marsilio, Venezia 1992, p. 49 (notre traduction de l'italien). Une traduction en allemand de la même note se trouve en O. Bulgakowa, Drei Utopien. Architekturentwürfe zur Filmtheorie, PotemkinPress, Berlin 1996, p. 31-32. Le texte original en russe se trouve dans l'Archive d'État russe de littérature et art (RGALI), f. 1923, inv. 1, 1030. Sur ce projet de livre sphérique, cf. A. Somaini, « Le cinématisme du livre et la "forme exposition". Film und Foto (1929) : Eisenstein, Moholy-Nagy, El Lissitzky », dans Ph. Dubois, E. Biserna, F. Monvoisin, L. Ramos Monteiro (sous la direction de), Extended Cinema / Le Cinéma gagne du terrain. Pasian di Prato, Campanotto Editore, 2010 (à paraître).
18. Cf. S. M. Eisenstein, "Notes for a Film of 'Capital'", cit., p. 24, tr. fr. dans B. Amengual, Que Viva Eisenstein!, cit., p. 603 : « Pour Le Capital, le problème du plan (du cadre) est tout à fait particulier. L'idéologie du plan de signe égale doit être entièrement revue. Comment ? Je ne le sais pas encore. Un travail expérimental est nécéssaire. Il est même terriblement nécessaire de tourner au préalable La Maison de Verre [Glass House], d'effectuer préventivement une Glasshaus où sera renversé le concept habituel de plan, les autres conditions orthodoxes étant conservées. »
19. Ibid., p. 13. Voir aussi Amengual op. cit.
20. GH p. 32 et 70.
21. Ibid., p. 49 : "a wife is cocuing [sic: le terme juste est "cuckholding"] her husband. Husband knocks at door (neer [sic] glass wall without seeing through it). She hides her lover".
22. Ibid., p. 70-71.
23. Ibid., p. 26.
24. Ibid., p. 37.
25. Ibid., p. 34.
26. Ibid., p. 78
27. Ibid., p. 57
28. Ibid., p. 27, 32, 35.
29. Ibid., p. 22, 26, 51.
30. Ibid., p. 73.
31. Ibid., p. 23.
32. Ibid., p. 26.
33. Cf. F. Albéra, « Destruction de la forme et transparence », cit., dans GH p. 97.
34. Sur la surimpression comme « mélange d'images », cf. J. Aumont, « Clair et confus », in Id., Matière d'images, redux, Paris, La Différence, 2009.
35. B. Balázs, Der Geist des Films (1930), Mit einem Nachwort von Hanno Loewy und zeitgenössischen Rezensionen von Siegfried Kracauer und Rudolf Arnheim, Frankfurt, Suhrkamp, 2001, p. 54 (tr. fr. L'Esprit du cinéma, Paris, Payot, 1977, p. 171).
36. J. Aumont, « Clair et confus », cit., p. 288 ; Aumont parle du mélange d'images aussi en termes d'« augmentation de la cinématographicité », et de « forme princeps du cinéma » (p. 300).
37. C'est ce qui affirme Eisenstein dans le chapitre de Montage intitulé "Il sonoro nel cinema muto. Sciopero, Ottobre, Potemkin": cf. S. M. Ejzen?tejn, Teoria generale del montaggio, a cura di P. Montani, con un saggio di F. Casetti, Venezia, Marsilio, 1985.
38. Cette reférence est soulignée par J. Aumont dans « Clair et confus », cit..
39. Dans un article écrit en janvier 1925 pour la revue Film-Kurier, Lang raconte sa première rencontre avec la ville de New York dans son voyage de 1924 :"I saw a street, lit as if in full daylight by neon lights and topping them, oversized luminous, advertising moving turning flashing on and off, spiralling [...] something which was completely new and near fairy-tale like for a European in those days, and this impression gave me the first thought of an idea for a town of the future" (cité dans Th. Elsaesser, Metropolis, London, BFI, 2000, p. 9).
40. GH p. 69.
41. Ibid., p. 71
42. Cf. A. Palazzeschi, "Una casina di cristallo (congedo)", dans Tutte le poesie, éd. A. Dei, Milan, Mondadori, 2002, p. 316-319.
43. A. Breton, Nadja, Paris, Gallimard, 1963. Breton fait référence à la vie dans la maison de verre dans les premières pages de Nadja : « Pour moi, je continuerai à habiter ma maison de verre, où l'on peut voir à toute heure qui vient me rendre visite, où tout ce qui est suspendu aux plafonds et aux murs tient comme par enchantement où je repose la nuit sur un lit de verre aux draps de verre » (p. 18). Pour une efficace reconstruction synthétique des principales étapes historiques de la réflexion sur les valeurs attribuées à la transparence du verre et l'architecture de verre, de l'Abbé Suger à l'artiste contemporain Dan Graham, cf. E. Alloa, « Architectures de la transparence », dans Le milieu des appareils, éd. J.-L. Déotte, L'Harmattan, Paris, 2008, p. 63-85.
44. N. Tchernychevsky, Que faire? Les hommes nouveaux (1863), trad. D. Sesemann, Paris, Syrtes, 2000.
45. N. G. Tchernychevsky, Che fare?, introduzione di E. Fiorani e F. Leonetti, traduzione di F. Verdinois, Milano, Garzanti, 2000, p. 228 (ma traduction en français de la traduction italienne).
46. Ibid., p. 229-230.
47. V. Khlebnikov, "Ourselves and Our Buildings. Creators of Streetsteads", in The King of Time. Selected Writings of the Russian Futurian, transl. by P. Schmidt, ed. by Ch. Douglas, Cambridge, Mass. London, Harvard University Press, 1985.
48. P. Scheerbart, L'Architecture de verre, trad. P. Galissaire, Strasbourg, Circé, 1995.
49. B. Taut, Die Stadtkrone (1919), mit Beiträgen von P. Scheerbart, E. Baron, A. Behne; mit einem Nachwort zur Neuausgabe von M. Speidel, Berlin, Gebr. Mann, 2002. M. Schirren, Bruno Taut. Alpine Architektur. Eine Utopia a Utopia, München, Prestel, 2004. B. Taut, Der Weltbaumeister. Architektur-Schauspiel für symphonische Musik (1920), neu herausgegeben und mit einem Nachwort zur Neuausgabe von M. Speidel, Berlin, Gebr. Mann, 1999.
50. Le Programm des Staatlichen Bauhauses in Weimar et l'incision de Feininger sont reproduites dans Bauhaus Archiv M. Droste, Bauhaus 1919-1933, Köln, Taschen, 2006, p. 18-19. La référence de Gropius à la métaphore du cristal se trouve dans ce passage : "Architektur und Plastik und Malerei, der aus Millionen Händen der Handwerker einst gen Himmel steigen wird als kristallenes Sinnbild eines neuen kommenden Glaubens" (nous soulignons).
51. Sur l'idéologie de la vie en commun dans l'Union soviétique des années 1920, cf. R. Stites, Revolutionary Dreams. Utopian Vision and the Experimental Life in the Russian Revolution, New York Oxford, Oxford University Press, 1989, surtout la partie III ("We: The Community of the Future").
52. La description de sa vie avec Strauch et Glizer dans le petit appartement commun de Tchistye Prudy dans l'hiver de 1920 se trouve dans un texte écrit en 1947 et pensé pour faire partie de ses mémoires : cf. S. M. Ejzen?tejn, "Judif", dans Id., Il movimento espressivo. Scritti sul teatro, a cura di P. Montani, Venezia, Marsilio, 1998.
53. C'est autour de ce thème que s'articule l'interprétation de Glass House par Oksana Bulgakowa dans son Sergej Eisenstein drei Utopien. Architekturentwürfe zur Filmtheorie, Berlin, PotemkinPress, 1996.
54. Cité dans R. Stites, Revolutionary Dreams, cit., p. 202.
55. E. Zamiatine, Nous autres, Paris, Gallimard, 1973.
56. cf. E. Zamjatin, Noi, traduzione di B. Delfino, edizione a cura di S. Moriggi, Milano, Lupetti, 2009, p. 29 (notre traduction de l'italien).
57. Cf. W. Benjamin, Expérience et pauvreté, trad. P. Rusch, dans Oeuvres II, Paris, Gallimard, 2000.
58. Id., Le Surréalisme. Le dernier instant de l'intelligentsia européenne (1929), trad. M. de Gandillac, revue par P. Rusch, dans Oeuvres II, Paris, Gallimard, 2000 (p. 113-134), p. 118.
59. V. Khlebnikov, Ourselves and Our Buildings, cit., p. 133-134 (notre traduction de l'anglais).
60. Cité dans W. Kemp, Theorie der Fotografie, vol. II (1912-1945), München, 1979, p. 88 et 91.
61. Traduit en anglais sous le titre de Synchronization of the Senses dans S. Eisenstein, The Film Sense, translated and edited by J. Leyda, San Diego ? New York ? London, Harcourt Brace & Co., 1975. Édition franç. Le film : sa forme, son sens, op. cit.
62. Ibid., p. 98-99.
63. Cf. B. Taut, Der Weltbaumeister, cit.

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