Élisée RECLUS | Géographie Politique




Élisée Reclus* (1830-1905), anarchiste [rappelons la violence des actions du mouvement anarchiste juste à cette époque : crimes et attentats de Ravachol condamné à mort en 1892, assassinat du Président Carnot en 1894 par l'anarchiste Casiéro, etc.], communard de 1871, est considéré comme le père de la géographie sociale et politique ; le prix de ces convictions libertaires, après sa mort, sera le silence et l'oubli, malgré l'ampleur de son oeuvre, superbement ignoré. Une des caractéristiques majeures de la géographie-universitaire, est l'exclusion des phénomènes politiques du champ de ses préoccupations : “ La corporation considère, contre toute évidence, qu'ils ne sont pas géogaphiques et estime que les prendre en compte est la négation d'une démarche scientifique”, affirmait le géographe Yves Lacoste en 1981. Tant il est vrai qu'affirmer ses convictions politiques à la fin de l'introduction d'un livre de géographie physique pouvait choquer cette corporation. Il en serait sans doute encore de même aujourd'hui,   en France tout du moins.

La « lutte des classes», la recherche de l'équilibre et la décision souveraine de l'individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle l'étude de la Géographie sociale ; écrivait Reclus pour terminer sa préface à son ouvrage majeur L'Homme et la Terre, terminé l'année de son décès en 1905, dont plusieurs chapitres sont consacrés aux villes dont « Horreur et splendeur des villes ». Plus de cent années après, les thèmes qu'il abordait alors, peuvent nous paraître aujourd'hui d'une étonnante actualité. 



Philippe PELLETIER

La grande ville
entre barbarie et civilisation
chez Élisée Reclus (1830-1905)


Le regard qu’a porté Élisée Reclus (1830-1905) sur la ville à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle mérite d’être analysé compte tenu de l’influence vaste et polymorphe que ce géographe anarchiste a exercée au sein de multiples milieux, savants, populaires et militants. Il s’avère en outre novateur pour son époque (1).

En effet, les géographes contemporains et suivants immédiats tendent alors à négliger le fait urbain, à l’instar d’un Paul Vidal de la Blache (1845-1918) dont le gendre Emmanuel de Martonne (1873-1955) reconnaît, à propos des Principes de géographie humaine (1922) compilées après la mort de Vidal, ne pas avoir pu dégager sur les villes « que quelques pages, sorte d’introduction ou de sommaire » (2). Yves Lacoste souligne qu’ « il n’y a aucun paysage urbain, ni à plus forte raison d’usine ou de voie ferrée » dans le Tableau géographique de la France (1905) de Vidal de la Blache (1845-1918), et que les cinq pages sur la ville des Principes en font moins que celles qui sont consacrées aux Esquimaux (3). Avant lui, André Meynier n’avait pas manqué de constater que « la place des villes dans les descriptions régionales reste longtemps infime » chez les géographes vidaliens (Vidal lui-même, Demangeon…) (4). Mais, comme le relève Sophie Gourlaouen, Meynier, dans sa comptabilité des pages consacrées à la description de telle ville chez tel auteur ancien, oublie Reclus, qu’il cite pourtant par ailleurs. Or Élisée Reclus était plus prolixe et, surtout, plus fin (5). De ce point de vue, il anticipe sur Raoul Blanchard (1877-1965), souvent considéré comme le précurseur de la géographie urbaine en France avec son étude sur Grenoble publiée en 1911 (Grenoble, une étude de géographie urbaine).

1. Le fait urbain replacé dans une conception dialectique

Le corpus d’Élisée Reclus sur la ville est assez conséquent (6). Il est de trois sortes :
1/ De nombreuses pages au sein des dix-neuf volumes, rien moins, de la Nouvelle Géographie Universelle (1876-1894), où les villes, notamment les grandes, de chaque pays sont décrites en détail. Certaines d’entre elles ont été visitées par l’auteur lui-même (la plupart des villes européennes, plusieurs villes nord et sud-américaines, Constantinople, Le Caire, Alger…), d’autres ont été racontées par des témoins de première main (comme Tôkyô par Léon Metchnikoff (1838-1888), secrétaire et ami d’Élisée Reclus de 1880 à 1883) (7).
2/ Au sein de plusieurs articles (8).
3/ Plusieurs passages de L’Homme et la Terre (1905), notamment un chapitre du tome cinquième qui reprend le fameux article The Evolution of Cities (1895) (9). Fameux car Élisée Reclus y expose les linéaments d’une théorie des places centrales, telle qu’elle sera réalisée plus tard par Walter Christaller, à partir de 1933, et parce qu’il a été récemment exhumé et traduit par des urbanologues contemporains (10). Au demeurant, cet article constitue un excellent résumé des positions d’Élisée Reclus sur la grande ville. Une comparaison avec sa reprise et son approfondissement dans L’Homme et la Terre, donc une dizaine d’années plus tard, permet également de voir quelle a été l’évolution d’Élisée Reclus sur la question urbaine, quels sont les précisions et les compléments qu’il apporte, les remarques qu’il retranche.

Une approche rétrospective sur les supposées « urbaphilie » ou « urbaphobie » de Reclus passe nécessairement par l’étude de son analyse du phénomène urbain. Dès la fin du XIXe siècle, Élisée Reclus prévoit au moins deux évolutions à ce propos :
- l’extension des « villes immenses », qu’il considère de façon positive sans préjugés : « Une prochaine agglomération de dix, de vingt millions d’hommes, soit dans le bassin inférieur de la Tamise, soit à la bouche du Hudson, ou dans tout autre lieu d’appel, n’aurait rien qui pût surprendre, et même il faudra y préparer nos esprits comme à un phénomène normal de la vie des sociétés » (11) ;
- la rurbanisation (même s’il n’emploie bien entendu pas ce mot), avec la « transformation des cités » par leur « mariage avec la campagne environnante » (12). « Évidemment, les villes qui grandissent déjà si vite le feront encore plus vite ou plutôt elles se fondront peu à peu dans la campagne… « (13).

Élisée Reclus anticipe sur la critique urbaphobe en soulignant quatre points :
- Ces phénomènes ne sont ni pathologiques, ni effrayants. Ils résultent d’un processus logique, quasi naturel, des organisations humaines.
- Ils sont complexes, issus de causes multiples.
- Ils correspondent à un mouvement du « progrès » et de la « civilisation », conforme à « l’évolution ».
- La critique des grandes villes relève d’un « moralisme » que l’on peut qualifier de réactionnaire. « Là où grandissent les cités, l’humanité progresse ; là où elles dépérissent, la civilisation elle-même est en danger » écrit-il d’emblée (14). Cette affirmation condense plusieurs éléments de sa conception générale de la géographie. Élisée Reclus insiste en effet sur la dynamique des divers éléments composant le monde dans le cadre d’une évolution. Il tire ce principe du darwinisme, comme tant d’autres à son époque, mais en récusant le social-darwinisme, de concert, d’ailleurs, avec son compère géographe et anarchiste Pierre Kropotkine (1842-1921) qui théorise sur l’entraide comme facteur d’évolution, et en ajoutant des compléments. Il articule en effet l’évolution en progrès et en régrès. Cette idée est inspirée de la théorie du philosophe napolitain Gian-Battista Vico (1744-1803) des corsi et ricorsi et, peut-être, mais ce n’est qu’une hypothèse difficile à vérifier, de la dialectique sérielle de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Selon Reclus, le progrès n’est jamais définitif et, dans sa progression historique même, il contient des éléments de régrès.

Reclus applique ce raisonnement, qu’on peut qualifier de « dialectique » bien qu’il n’utilise pas ce mot, à l’évolution des civilisations, notamment dans leur rapport avec le milieu dont la dégradation (dessication, déforestation) peut conduire à leur ruine, ainsi qu’à la théorie politique, où l’évolution est inséparable de la révolution, la révolution elle-même n’étant pas exempte de brutaux retours en arrière. Cette idée inspirée de la Révolution française se vérifiera en Russie ou en Chine…

La dialectique reclusienne se distingue de la dialectique classique des contraires, qui s’opposent et s’excluent, et de la dialectique hégéliano-marxiste où les deux termes des contraires se résolvent dans un troisième terme qui est celui de la synthèse. Elle met les termes contradictoires à la fois en opposition et en combinaison ; par exemple : autorité et liberté, égalité et liberté. Elle forme des couples de tension et de composition, des antinomies, sans synthèse, qui évoluent en balance (Proudhon) ou en équilibre instable (Reclus). Cette dialectique est très proche de la conception qu’a développée le monde sinisé avec le fameux binôme du yin et du yang. Elle anticipe de façon novatrice sur l’approche systémique telle qu’on la connaît actuellement, mais en étant réfractaire à tout esprit de système clos : elle reste essentiellement ouverte, dynamique et libre.

À cette dialectique de l’évolution s’ajoute une conception, également dynamique, du milieu qu’il dédouble en « milieu espace » et en « milieu-temps ». Le « milieu-espace » correspond au « milieu primitif », « constitué par l’ambiance des choses », la « nature extérieure ». Il est modifié par le « milieu-temps », « avec ses transformations incessantes, ses répercussions sans fin » :
« L’histoire de l’humanité, dans son ensemble et dans ses parties, ne peut donc s’expliquer que par l’addition des milieux avec « intérêts composés » pendant la succession des siècles ; (…) les milieux ont eux-mêmes évolué, par le fait de la transformation générale, et modifié leur action en conséquence. (…) Le développement même des nations implique cette transformation du milieu : le temps modifie incessamment l’espace » (15).

Appliquée au fait urbain, cette approche privilégie une dimension géohistorique, à la fois diachronique et synchronique, replacée dans une conception de l’évolution. La dialectique reclusienne permet de dépasser l’opposition stricte entre avantages et inconvénients des villes, entre leurs bienfaits et leurs méfaits, puisque les uns accompagnent les autres. La ville est un fait social, vivant, changeant par définition, comme il le dit à propos de la géographie dans un passage sur l’évolution urbaine :

« La géographie n’est pas un donné immuable. Elle se fait et se refait jour après jour. Elle est modifiée à chaque heure par l’action des hommes » (16).

2. La cité, quintessence de la sociabilité humaine

Selon Reclus, les cités traduisent le niveau de civilisation, laquelle relève du progrès technique et social. Cette civilisation n’est pas forcément aboutie, et Reclus parle plus exactement à ce propos de « demi-civilisation puisqu'elle ne profite point à tous » (17). Le progrès est largement issu de l’Occident, mais il ne lui appartient pas, ni ne constitue un élément de supériorité de l’Occident sur les autres peuples. Avec son frère Élie, Élisée Reclus est d’ailleurs l’un des rares savants de l’époque à s’intéresser sérieusement, sans préjugés ni discrimination, au sort des peuples aborigènes.

D’après Reclus, la concentration urbaine résulte de plusieurs facteurs : la sociabilité humaine, l’échange de biens, la sécurité psychologique et sociale. Le développement de telle ou telle ville dépend des conditions du lieu, du pays, du développement général de la société et de l’économie, des choix politiques et administratifs. En conséquence,

« chaque ville a son caractère particulier, sa vie personnelle, son aspect physique propre. L’une est gaie et animée, l’autre entretient une mélancolie qui gagne le visiteur. Chaque génération laisse ce caractère à la suivante comme un héritage. Il y a des villes qui vous glacent dès l’entrée tant leur aspect est dur et hostile. Il y en a d’autres où vous êtes gai et léger comme à la vue d’un ami » (18).

« Horreur et splendeur des villes », tel est le premier sous-titre du chapitre « Répartition des hommes » de L’Homme et la Terre. Il est parfaitement significatif de la dialectique reclusienne à propos de l’urbain. D’un côté, Élisée Reclus vise les villes industrielles : leur atmosphère épaisse (la pollution, pour reprendre le vocabulaire contemporain), leur noirceur (Saint-Étienne !…), la monotonie de leurs constructions identiques, leur laideur, leur puanteur, le bruit, l’insulabrité… (19) Il n’oublie pas, dans l’évocation de ces villes, de décrire la dureté de la condition ouvrière qui en est le corollaire, ainsi que la laideur des moeurs (alcoolisme, naissances illégitimes, haines religieuses…) (20).

Il partage l’idée, qui se développe depuis le XVIIIe siècle, de la grande ville mortifère, dévoreuse de vies humaines, notamment enfantines, et ne se perpétuant que grâce à l’immigration (21). Il considère que l’espérance de vie est inférieure dans la ville par rapport à la campagne, phénomène au demeurant confirmé à propos du XIXe siècle (22). Il en évalue toutefois mal certaines causes, partageant avec ses contemporains la théorie erronée des miasmes, tout en relevant également la théorie bactériologique de Pasteur, confirmée celle-là. Comme le rappelle Sophie Gourlaouen, « qu’un géographe aujourd’hui s’intéresse aux problèmes d’égouts ou au système d’adduction d’eau peut paraître banal, mais au XIXe siècle ce n’est pas le cas « (23).

D’un autre côté, Élisée Reclus relève les beautés architecturales des villes, les monuments, les points de vue, les paysages, la vie et l’activité de la foule… Il en propose aussi l’illustration par des gravures. Sophie Gourlaouen relève le caractère élogieux du vocabulaire utilisé pour décrire les monuments, ainsi l’exemple de Paris : « Trésors artistiques », « riches ornements », « vitraux éblouissants », « immense écrin », « magistralement décorée », « singulière élégance », « merveilles »… (24). Sans parler de l’Alhambra à Grenade, « merveille de l’art humain, un de ses chefs-d’oeuvre d’architecture » ou de la Coupole de Sainte-Sophie à Constantinople qui « produit un effet prodigieux : c’est une merveille de force et de légèreté » (25).

Avec justesse, Reclus n'adopte pas une position tranchée vis-à-vis du phénomène urbain, et des profondes mutations sociales, spatiales ou écologiques qui l'accompagnent. Il relève ainsi que la croissance urbaine résulte non seulement de facteurs négatifs, ceux qui déclenchent par exemple l'exode rural, mais aussi de facteurs positifs. D’une part, la suppression des terrains communaux, l'industrialisation des campagnes, les besoins de la ville en travailleurs, d’où le délabrement des campagnes que cela entraîne. D’autre part, il existe un attrait des hommes pour la vie urbaine, synonyme ou symbole de modernité, de lumières, de foule mais aussi permission d'anonymat.

C'est d'ailleurs une parfaite illustration des phénomènes migratoires qui vont opérer avec encore plus d'ampleur qu'à son époque, au cours du XXe siècle : s'il n'y avait que des facteurs négatifs chassant les hommes d'un endroit et les poussant vers un autre, ces phénomènes ne pourraient pas vraiment opérer. Il faut aussi des facteurs attractifs. Reclus souligne donc que les villes ne sont pas que des « monstres, des vampires gigantesques, suçant la vie des hommes » et que « tout phénomène est complexe ». S'exerce aussi l'attrait de la culture (musées, bibliothèques, écoles) et Reclus, sous-entendant le poids du conservatisme des campagnes, de rappeler sous une autre forme son constat déjà exprimé dans L’Évolution des villes :

« Quand les villes s'accroissent, l'humanité progresse, quand elles diminuent, le corps social menacé régresse vers la barbarie » (26).

Élisée Reclus critique donc les « moralistes » qui dénigrent l’extension urbaine sans en voir les vraies causes ou les autres aspects. Ils les nomment dans L’Homme et la Terre : Rousseau qui

« déplorant l’avilissement de tant de campagnards qui vont se perdre dans les grandes villes, appelle celles-ci « Gouffres de l’espèce humaine »,
Herder qui « voit en elles les « camps retranchés de la Civilisation » », Ruskin qui dénonce « cette sale ville de Londres, bruyante, grondante, fumante, puante, un amas hideux de briques surchauffées, rejetant le poison par chaque pore » (27).

Élisée Reclus se gausse alors : « C'est un plaisant langage que celui des propriétaires moralistes qui conseillent aux campagnards de rester attachés à la terre, alors que, par leur agissements, ils déracinent le paysan et lui créent des conditions de vie l'obligeant à s'enfuir vers la cité » (28). Il assimile sans peine ces « moralistes » aux religieux qui dénonçaient déjà les supposées horreurs de la grande ville :

« On pourrait presque reprendre la parabole biblique contre ces prodigieuses concentrations humaines et prophétiser contre elles comme Isaïe contre Tyr, « pleine de sagesse et parfaite en beauté », ou contre Babylone, « la fille de l’Aurore » » (29).

3. La commune insurgée mais pas la communauté volontaire

Reclus ajoute : « Il est vrai, toutes les vitupérations des maudisseurs sont justifiées, mais aussi toutes les exaltations des glorificateurs » (30). À propos de Paris, il met en opposition un Barbier clamant qu’

« il est au monde une infernale cuve » et un Hugo qui « magnifie ce même Paris en des vers enthousiastes : « Paris est la cité mère… où pour se nourrir de l’idée viennent les générations » (ib.).
Et de conclure : « N’est-ce pas de ces réunions d’hommes qu’ont jailli les idées et que s’est fait l’enfantement des oeuvres nouvelles, qu’on éclaté les révolutions qui ont débarrassé l’humanité des gangrènes séniles ? » (ib.).

On devine dans ce dernier propos l’option politique de Reclus qui, conformément à une pensée héritée de la Révolution française, voit dans les villes la source principale de l’impulsion révolutionnaire, le lieu premier de la nouveauté et du changement social. L’expérience même d’Elisée Reclus, qui a participé à la Commune de Paris (1871), ainsi que son frère Élie, témoigne en ce sens. Reclus relève du communisme anarchiste qui fait de la commune, du syndicat et de l’association les trois piliers de la société libérée. Lieu privilégié de la culture et de l’instruction, lieu potentiel pour le progrès des moeurs malgré les vices précédemment évoqués, la ville est historiquement, et donc fondamentalement, un lieu de liberté. C’est un espace où se sont structurées les libertés publiques, et donc le progrès :

« Ce que la république d’Athènes avait été deux mille années auparavant, la république de Florence le fut à son tour ; pour la deuxième fois s’éleva un de ces grands foyers de lumière dont les reflets nous éclairent encore. Ce fut un vrai renouveau de l’humanité. La liberté, l’initiative, et avec elles les sciences, les arts, les lettres, tout ce qu’il y a de bon et de noble dans ce monde se produisit avec un joyeux élan que les générations avaient depuis longtemps perdu » (31).

Élisée Reclus évoque ainsi les communes autonomes de Flandres, du Brabant, de Toscane, de Vénétie, avec des accents qui convergent étroitement avec l’argumentation politico-historique de Pierre Kropotkine :

« Un nouvel ordre de choses avait commencé, car c’est d’en bas, de la masse profonde du peuple, qu’était née l’indépendance des villes » (32).

Pierre Kropotkine insiste beaucoup sur la dimension et la trajectoire communalistes dans l’histoire de l’émancipation humaine. C’est en partie pour cette raison qu’Élisée Reclus n’en parle pas davantage dans son oeuvre. Mais on le sent aussi moins optimiste que Kropotkine dans la capacité révolutionnaire de la Commune. Il s’agit probablement là d’un bilan tiré de la Commune de Paris, que vient corroborer son appui à la recomposition du mouvement anarchiste et à son changement de stratégie. En effet, pendant et après la période dite des attentats en France (1892-1893), la majorité des anarchistes se tournent vers le syndicalisme et participent à la construction de la future C.G.T. C’est notamment le cas de Fernand Pelloutier (1867-1901), rédacteur de la fameuse Lettre aux anarchistes (1899), invitant ceux-ci à construire le syndicalisme révolutionnaire. Pelloutier est secrétaire de la Fédération des bourses du travail (1895), qui va fusionner avec la C.G.T. (1902), et il est en contact avec Élisée Reclus (33). Mais Reclus, accaparé par d’autres tâches, ne s’engage pas plus sur ce terrain, tandis que Pelloutier meurt rapidement et cède la place à une autre génération (Émile Pouget, Victor Griffuelhes, Paul Delessalle, Georges Yvetot…).

Reclus, comme Kropotkine d’ailleurs, se montre par ailleurs sceptique, critique et finalement hostile vis-à-vis des tentatives anarchistes, souvent issues du courant individualiste, qui visent à constituer des micro-sociétés anarchistes, des « milieux libres » selon le vocabulaire de l’époque ou des « communautés » pour reprendre le langage soixante-huitard. Cette position politique renvoie également à la question urbaine dans la mesure où ces communautés sont généralement fondées à la campagne et véhiculent plus ou moins un sentiment anti-urbain.

Dans une contribution à la revue Les Temps nouveaux (1895-1914), l’un des principaux organes anarchistes français animé par Jean Grave (1854-1939) et très influent, Élisée Reclus n’hésite pas à rejeter toute tentative de se situer dans l’en-dehors (34) pour privilégier le choix d’oeuvrer en dedans la société actuelle :

« En un mot, les anarchistes se créeront-ils des Icaries en dehors du monde bourgeois ? Je ne le pense ni ne le désire. (…) Dans notre plan d’existence et de lutte, ce n’est pas la petite chapelle des compagnons qui nous intéressent, c’est le monde entier » (35).

Pierre Kropotkine a un jugement tout aussi sévère sur l’impasse que constituent ces « communes volontaires » (36). C’est d’ailleurs une position adoptée par le congrès anarchiste de Londres de 1896, où participent Reclus et Kropotkine. Selon Max Nettlau, l’investissement de quelques anarchistes dans les « milieux libres » remonte à 1885, à la période charnière où l’ensemble du mouvement socialiste n’a pas encore digéré l’échec sanglant de la Commune de Paris, tandis que les anarchistes sont rejetés par les nouveaux congrès socialistes successifs et que certains d’entre eux se tournent vers l’illégalisme.

« À partir de 1885, des ramifications idéologiques, auxquelles on n’avait prêté aucune attention les années précédentes, se répandirent. Elles furent : le naturisme, l’apologie du primitivisme sauvage, puis le naturisme en matière diététique, le végétarisme… et toute une quantité de petits foyers éphémères, de petits systèmes, de Gravelle à Zisly, en passant par Butaud, Sophie Zaikowska et autres. Par ailleurs, le néo-malthusianisme, propagé avec beaucoup de mauvaise foi par Paul Robin, conquit un terrain énorme. (…) Tout cela constituait pour notre milieu une grande perte d’énergie » (37).

En fait, le mouvement des « milieux libres » démarre réellement à partir de 1895 (38). La revue mensuelle La Nouvelle humanité qui l’anime, éditée par Henri Beylie (1870- ?), Henri Zisly (1872- 1945) et Émile Gravelle (1855- ?), paraît de 1895 à 1898 (vingt numéros) (39). La société « pour la création et le développement d’un Milieu libre en France » est fondée en 1902 par les mêmes Beylie et Zisly, auxquels s’ajoutent Georges Butaud (1868-1926) et Émile Armand (1872-1962). Son but est de « tenter une expérience de communisme libre ». Elle aboutit à la constitution du Milieu libre de Vaux (Aisne) (1902-1907). Selon Jean Maitron, « dès novembre 1903, une attaque en règle était menée contre la colonie par certains milieux anarchistes » (40). Après la fin du milieu libre de Vaux, d’autres expériences vont se succéder sans plus de succès : Saint-Maur (1913), Bascon (Aisne, 1912) avec le néo-naturien et végétalien Louis Rimbault (1877-1949)… Tous ces courants et toutes ces expériences évoqués par Nettlau, visés par Kropotkine et Reclus, ne sont pas essentiellement fondés sur un rejet de la ville en tant que telle. Ils reposent plutôt sur une critique de la civilisation moderne et un retour à la nature, qui par là même finit par concerner la ville considérée comme l’incarnation de cette civilisation artificielle et anti-naturelle. Leur critique vise d’abord la massification, la technologie, l’industrie, l’aliénation de l’individu, ce que résumera cette définition d’Émile Armand lui-même : « La tendance « naturienne » et « néonaturienne » apparaît sympathique en tant que considérée comme réaction contre le surmenage fiévreux, insensé de l’industrialisme et du commercialisme spéculateurs et rationalisés » (41). Elle recherche la communauté autonome, auto-suffisante, rurale. Ses types sont compliqués par la variété des choix en matière de nourriture, de culture et de moeurs, selon que l’on refuse plus ou moins la viande, les laitages, l’habillement, que l’on pratique ou non les unions libres. Reclus, qui est végétarien et qui défend le végétarisme (42), comprend ce type de position mais n’en fait pas une solution ultime.

L’un des points communs des différents courants « naturiens » est la recherche de l’hygiène : nourriture saine, nudisme, refus plus ou moins gradué du tabac et de l’alcool, sexualité maîtrisée… Cela peut conduire à un refus de la ville considérée comme non hygiénique, sinon sale. Mais la revendication hygiéniste recoupe une sensibilité plus générale, commune au XIXe siècle. Elle est partagée par Reclus dénonçant qu’

« une autre cause d’enlaidissement de nos villes modernes vient de l’envahissement par les grandes industries manufacturières » (43).

Il critique les « cheminées puantes », les « rues noircies », « le sol [qui] tremble », « l’air presqu’irrespirable », « la boue et la suie » qui suintent, « l’atmosphère souillée », les « saletés de la ville » (ib.). De l’hygiénisme qu’il réclame à partir de ce constat, il en fait aussi un argument socio-politique en faveur des villes, en l’incluant dans un projet plus large d’amélioration citadine.

4. L’amélioration citadine

Élisée Reclus ne considère pas qu’il faille attendre le Grand soir ou s’échapper dans des communautés en dehors pour agir hic et nunc. Il constate parallèlement - et cette observation de la vie sociale guide fondamentalement, comme chez Kropotkine, sa réflexion politique – que l’évolution des villes peut également aller dans le sens de l’amélioration.



Il estime que, même dans le système bourgeois et capitaliste, les villes peuvent constituer des facteurs de progrès, au niveau de l'hygiène principalement. Bourgeois et travailleurs devant vivre à plus ou moins grande proximité, les bourgeois doivent absolument prendre en compte une amélioration générale de l'hygiène (infrastructures, adductions, assainissement…), sous peine de voir maladies et pollutions diverses les contaminer également. Reclus fait, de ce point de vue, une analyse lucide du mouvement hygiéniste urbain de son époque, de même qu'il anticipe sur les politiques écologistes et aménitaires prises par l'actuelle bourgeoisie dans les grandes villes.
« L'histoire est là pour enseigner que les maladies des uns entraînent celles des autres et qu'il est dangereux pour les palais de laisser la peste dévaster les taudis » (44).

Ce n'est ni l'existence des villes, ni leur énormité qui gêne Reclus. Conformément à ses options politiques, c'est l'organisation socio-spatiale inégalitaire des villes qu'il déplore et condamne. Il énonce à ce propos une phrase percutante:

« Les édiles d'une cité fussent-ils sans exception des hommes d'un goût parfait, chaque restauration ou reconstruction d'édifice se fît-elle d'une manière irréprochable, toutes nos villes n'en offriraient pas moins le pénible et fatal contraste du luxe et de la misère, conséquence nécessaire de l'inégalité, de l'hostilité qui coupe en deux le corps social » (45).

Autrement dit, l'antagonisme entre la bourgeoisie et l'État d'une part, et les exploités et dominés d'autre part, empêche route réalisation de ville idéale. Tout embellissement urbain ne profite réellement qu'à certains et pas à d'autres. Reclus souligne le fait que

« les quartiers somptueux, insolents, ont pour contre-partie des maisons sordides, cachant derrière leurs murs extérieurs, bas et déjetés, des cours suitantes, des amas hideux de pierrailles, de misérables lattes » (46).

Il lie la question urbaine à la question sociale :

« La division des classes se marque entre les ruelles sordides et les avenues somptueuses » (47).
Il dénonce la « spéculation barbare » , la « laideur », les pollutions (même s'il n'emploie pas ce mot). Il s’intéresse aux problèmes de l’évacuation des ordures ménagères, de l’épuration des eaux usées, de l’approvisionnement en eau, regrettant que « trop de municipalités semblent ne pas s’inquiéter de ces questions » (48).

Reclus souligne que l'embellissement des centres-villes a pour corollaire le rejet en périphérie des populations appauvries, phénomène bien connu qui existe toujours actuellement :

« … ce n'est qu'un demi-bien de transformer les quartiers insalubres, si les malheureux qui les habitaient naguère se trouvent expulsés de leurs anciens taudis pour aller en chercher d'autres dans la banlieue… » (ib).

Quelle solution ? La réponse d'Elisée Reclus est implicite, et explicite : la suppression de l'inégalité, de l'hostilité qui coupe en deux le corps social, suppression réalisable nous dit Reclus dans ses textes plus expressément politiques par la Révolution sociale ayant pour finalité le communisme libertaire, proposition qu'il élabora avec les anarchistes Cafiero, Kropotkine et d'autres encore. Elle est même exposée directement dans L'Homme et la Terre :
« À bien considérer les choses, toute question d'édilité se confond avec la question sociale elle-même » (49).

Reclus prend également en compte l'existence de mesures qui n’ont pas besoin d’attendre la révolution pour être instaurée. Il souhaite une ville salubre, hygiénique, compacte, parsemée et entourée d’espaces verts (50), débarrassée de ses quartiers miséreux. Il cite à ce propos l’option des cités-jardins (51).

« C'est à ce programme [conformer les villes aux besoins et aux plaisirs de tous, devenir des corps organiques parfaitement sains et beaux] que prétend répondre la ville-jardin. Et de fait, des industriels intelligents, des architectes novateurs ont réussi à créer en Angleterre, où le taudis urbain était le plus hideux, un certain nombre de centres en des conditions aussi parfaitement saines pour le pauvre que pour le riche » (52).

Ce « prétendre » laisse entendre un scepticisme de la part de Reclus, et l’on peut trouver de-ci delà dans ses écrits des éléments qui l’expliquent. En 1896, dans la revue La Société nouvelle, Élisée et son frère Élie narrent la rénovation d’Edimbourg menée par leur ami Patrick Geddes (1854-1932) (53). Élisée en parle également dans plusieurs de ses articles. Il s’attache surtout à la dimension d’embellissement esthétique, architectural, du projet de Geddes, critiquant avec des accents ruskiniens l’art conventionnel habituellement imposé et empesé. Mais il est réticent sur deux points : le financement, qui dépend en dernier ressort des banques si les généreux philanthropes ne sont plus là pour payer, et la question des miséreux chassés par la rénovation, qui ont été tout simplement expulsés.

Il semble que de façon assez générale Reclus soit assez réfractaire à l'idée d'« utopie », même urbaine. Il n'emploie pas le mot. Il a, comme on l’a vu, critiqué sévèrement les tentatives de communautés anarchistes qui ont fleuri à la fin du XIXe siècle. Il est sensible à cet égard aux accusations d’irréalisme qu'ont portées les adversaires de l'anarchisme, préférant parler d'idéal (s'attirant l'étiquette d'« idéaliste » de la part d'Engels) ou souligner la part déjà libertaire (anarchique) de la société existante sur laquelle doit se fonder le « progrès », autre terme qu'il chérit. À cet égard, Reclus s'écarte d'un certain nombre de penseurs socialistes, voire de proches comme Patrick Geddes ou Lewis Mumford (1895-1990).

En fait, Élisée Reclus part toujours et encore de la réalité pour construire son projet social. Il le juge réaliste si l’observation scientifique, et singulièrement la géographie, montre qu’il l’est. Or il y a assez de terres fertiles pour nourrir tous les êtres humains, supprimer la famine, donc une partie de la misère et progresser vers la richesse pour tous. Les villes, historiquement agents de la liberté et de l’initiative par la commune, s’étendent-elles ? Il n’y a pas lieu de s’en alarmer à condition que la laideur et la misère en soient également chassées.

« Les plaintes de ceux qui gémissent de la dépopulation des campagnes ne peuvent donc arrêter le mouvement ; rien n’y fera, toutes les clameurs sont inutiles. Devenu, grâce à une plus grande aisance et au bon marché relatif des voyages, possesseur de cette liberté primordiale « d’aller et de venir », de laquelle pourraient à la longue découler toutes les autres, le cultivateur non propriétaire obéit à une impulsion bien naturelle lorsqu’il prend le chemin de la cité populeuse dont on lui conte tant de merveilles » (54).

Il faut même supprimer tout ce qui pourrait entraver l’extension de la ville, comme les remparts ou les forteresses, tout en maintenant de nombreux espaces verts. Élisée Reclus propose donc une solution originale à l’une des thématiques fondamentales du socialisme, à savoir la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne : celle d’une ville qui s’étendrait à perte de vue, d’une ville illimitée (55). Il se démarque ainsi de certains projets socialistes comme ceux de John Ruskin (1818-1900) ou de William Morris (1834-1896). Cette extension de la ville ne doit toutefois pas se faire au profit d’une « rage d’appropriation » ni au détriment de la beauté de la nature.

On peut discuter de la pertinence de cette expression de « ville illimitée » proposée par Sophie Gourlaouen et que Reclus n’utilise pas explicitement, ou des formes exactes que Reclus envisageait pour ce nouvel ensemble fatalement très peuplé. Mais telle est la vision qui se dégage de sa géographie, de sa description du présent et de sa proposition pour le futur. Il constate les phénomènes qui « tendent à favoriser une déconcentration dans la ville moderne et à ouvrir un peu ses espaces centraux à des activités venues de l’extérieur » (56).

Et il encourage ce double processus de déconcentration, par exemple des « institutions implantées à l’origine au coeur de la ville [qui] se déplacent vers la campagne », et de reconquête des centres, car « trop utile à l’ensemble des citoyens pour être monopolisé par des familles privées, le coeur de la cité est le patrimoine de tous » (ib.).

Ces thèmes qui nous sont désormais familiers ne l’étaient pas à l’époque. Reclus s’oppose à « l’enfermement » des petites communautés utopiques, ainsi qu’aux murs, aux enceintes ou aux limitations que certains rénovateurs voudraient imposer (Raymond Unwin, Patrick Geddes, Lewis Mumford…). Il prône l’interpénétration de la ville et de la campagne, comme ces rénovateurs, certes, mais sans limites définies démographiquement ou spatialement. Il réclame l’extension, sur une base fédérale, des relations de communes à communes. D’où l’importance donnée par Reclus aux communications et aux transports.
« Alors que l’homme de la campagne devient de jour en jour un citadin dans son mode de vie et de penser, le citadin, lui, se tourne vers la campagne et aspire à être un campagnard. C’est sa croissance même qui permet à la ville moderne d’abandonner son existence solitaire et de tendre à se fondre avec d’autres villes, retrouvant ainsi la relation originelle qui unissait le marché naissant à la campagne dont il était issu. L’homme doit avoir le double avantage d’accéder aux plaisirs de la ville, avec ses solidarités de pensées et d’intérêts, les possibilités qu’elle offre d’étudier, de pratiquer les arts et, en même temps, il doit jouir de la liberté qui existe dans la liberté de la nature et se déploie dans le champ de son vaste horizon » (57).

Vers cette ambition, le chemin est ouvert selon Reclus :

« À mesure que les hommes modifient leur propre idéal de vie, ils doivent nécessairement faire évoluer, en accord avec celui-ci, cette « corporéité » élargie que constitue leur habitat. La ville reflète l’esprit de la société qui l’a créée » (58).


Philippe PELLETIER
Université Lyon 2
22 mars 2007


* Béatrice Giblin : Qui connaît aujourd'hui Elisée Reclus ?
Revue Hérodote | 1981

Qui sait qu'il fut un géographe extrêmement célèbre au XIXe siècle ? Si les milieux anarchistes le reconnaissent comme un des leurs — il fut l'ami de Bakounine et de Kropotkine —, les géographes français l'ignorent superbement, comme si Reclus n'avait été qu'un obscur géographe d'une époque « préscientifique ». Et pourtant sa célébrité il la doit bien plus à la qualité de ses travaux géographiques qu'à la portée théorique de ses écrits anarchistes. Ce géographe avait acquis une notoriété internationale, les savants de l'époque le tenaient pour l'un des meilleurs, tous le considéraient comme un géographe de grand talent. Et le public ne s'y était pas trompé : ses ouvrages furent publiés à des milliers d'exemplaires, réédités plusieurs fois, traduits en anglais, en russe, en espagnol, en italien.

Alors pourquoi ce silence, pourquoi cet oubli ?
Qui était donc Elisée Reclus pour avoir été un géographe si renommé et si vite oublié ? D'où vient ce géographe libertaire ?

Un voyageur par goût, par contrainte et par métier

Originaire du sud-ouest de la France, Elisée Reclus naît à Sainte-Foy-la-Grande, petite ville des bords de la Dordogne, le 15 mars 1830. Il est le troisième enfant de Jacques Reclus, un pasteur calviniste, en fait un véritable mystique, et de Zéline Trigant, issue d'une famille bourgeoise du Bordelais, sans doute peu préparée à élever une famille nombreuse : onze enfants. Elle a dû s'installer comme institutrice pour subvenir aux besoins de la famille, son mari étant plus préoccupé de ses rapports avec Dieu que de problèmes matériels !

En 1831, la famille Reclus s'établit à Orthez, près des Pyrénées. A l'âge de treize ans, Elisée suit son frère et sa soeur aînée à Neuwied en Allemagne, dans un collège religieux dirigé par les Frères Moraves, le pasteur Reclus ayant jugé que seule cette congrégation religieuse était digne de confiance. En quoi il se trompait lourdement, car Elisée Reclus est vite écoeuré par l'hypocrisie de ces religieux, plus soucieux de gagner de l'argent que de former sérieusement leurs élèves.

Ce séjour d'Elisée en Allemagne ne dure qu'un an, mais il représente une coupure totale avec sa famille, peu de courrier, aucun retour en France. Il est contraint d'apprendre l'allemand rapidement. En 1844, il rentre à Sainte-Foy-la-Grande pour continuer ses études secondaires. Il obtient son baccalauréat en 1848. Après avoir passé un an au séminaire protestant de Montauban, car à l'époque, il envisage encore d'être pasteur, il repart en Allemagne à Neuwied chez les Frères Moraves, mais en tant que moniteur ; en vérité, ses parents étaient trop pauvres pour financer plus longtemps ses études. Au bout de six mois, il s'ennuie tellement qu'il décidé de partir pour Berlin et de s'inscrire à l'Université. Là, il suit plus ou moins fortuitement les cours de géographie de Cari Ritter, l'un des premiers géographes universitaires, très célèbre en Allemagne. En septembre 1851, il rentre à pied à Orthez, en compagnie de son frère Elie qui achevait des études de théologie à Strasbourg. Autant par économie que par plaisir, les deux frères traversent donc la France à pied, couchant la nuit à la belle étoile. Peu de temps après, c'est le coup d'Etat du 2 décembre. Républicains convaincus, les frères Reclus résistent au coup de force du futur empereur et, sans être officiellement bannis, ils doivent se réfugier en Angleterre.

Pour gagner sa vie, Elisée donne quelques cours, il côtoie d'autres exilés français, ceux de 1848 et ceux du coup d'Etat, mais il ne se plaît guère en Angleterre et il est déçu par l'accueil que les Anglais réservent aux réfugiés politiques. A la première occasion, il s'installe en Irlande en tant que régisseur d'une exploitation agricole. Il s'attache à ce pays dont il analyse la tragique situation économique et sociale, quatre ans après la terrible famine de 1847 et toute sa vie, il gardera le même intérêt pour ce pays dont il prévoit les difficultés inéluctables engendrées par l'occupation anglaise.

Puis il quitte l'Irlande pour la Louisiane où il se retrouve précepteur des enfants d'un planteur de canne à sucre pendant deux ans. Il analyse à loisir la société sudiste et, scandalisé par le comportement des hommes d'Eglise qui soutiennent les planteurs contre-les esclaves, il se tourne définitivement vers l'athéisme. Certes, il avait déjà renoncé à être pasteur, mais il était resté croyant.

En 1855, Reclus part pour la Colombie, qu'on appelait à l'époque la Nouvelle-Grenade, où il essaie vainement de s'installer comme planteur de café. Après de multiples échecs, malade, sans un sou, endetté, il rentre en France en 1857. Mais il a des carnets de voyages couverts de notes et d'observations personnelles, et dès son retour, il essaie de publier quelques articles à partir de ces écrits. L'intérêt de Reclus pour la géographie s'est confirmé peu à peu, et il a très envie de décrire les paysages si variés où il a voyagé, et rendre compte du monde lui semble en vérité une tâche tout à fait exaltante.

Il prend alors contact avec diverses personnalités savantes et rédige quelques articles. La maison Hachette envisage de publier le récit de ses voyages et lui propose, en attendant, de travailler à la collection des guides Joanne qu'elle publie et à d'autres publications géographiques. Elisée s'installe chez Hachette, comme géographe, en décembre 1858 et commence à circuler le plus souvent à pied, en France et dans les pays voisins, pour écrire ses guides. La publication de quelques articles de géographie physique lui permet aussi d'adhérer à la Société de géographie de Paris, qui était assez active à l'époque et surtout qui possédait la meilleure bibliothèque d'ouvrages de géographie et un très grand nombre de cartes. En 1869 paraît le premier ouvrage d'Elisée Reclus : La Terre. C'est un véritable traité de géographie physique qui connaît un énorme succès.

Le libertaire

Malgré le peu de temps que lui laissent ses activités géographiques — voyages, publications —, Elisée Reclus essaie d'être un militant actif au sein des milieux socialistes, puis anarchistes. Il s'était intéressé très jeune aux idées socialistes, avait lu Leroux, Owen, Fourrier. A son retour d'Amérique, il est séduit comme son frère aîné Elie par les idées anarchistes qui lui semblent les seules à accorder autant d'importance à l'individu. Son éducation protestante est sans doute à l'origine de sa préoccupation constante des droits de l'individu, et plus encore le protestantisme particulier de son père qui en toutes circonstances ne suivit que sa conscience: et refusa toujours d'aliéner sa liberté, ne voulant rien ni personne entre lui et Dieu.


Le protestantisme au sein duquel Elisée Reclus a été élevé est en vérité une conduite de vie, une morale qui repose sur l'autonomie totale de l'individu, véritablement responsable de lui-même et qui ne doit rendre compte de ses actes qu'à Dieu. Méfiance donc envers les rites et les organisations qui ne sont que des barrières destinées à contrôler les hommes et les femmes. Ces principes, on le voit, n'ont pu que favoriser la marche de Reclus vers l'anarchisme. Ardent défenseur de tous les opprimés, adversaire déclaré de l'Etat et de toutes les lois autres que naturelles, il milite dans les milieux anarchistes.
En 1864, Reclus fait la connaissance de Bakounine et adhère avec son frère à sa société secrète « La Fraternité internationale », il le suit dans les activités de l'Internationale des travailleurs, où il rencontre des partisans de Marx avec lesquels les anarchistes sont très vite en désaccord. Marxistes et anarchistes s'opposent sur la marche à suivre pour arriver à la libération des travailleurs. Les premiers estiment qu'il ne faut pas négliger la voie légale et accordent un rôle primordial à l'organisation, tandis que les anarchistes sont convaincus qu'il est illusoire d'envisager la révolution par cette voie-là. Marx et Engels parlent d'ailleurs des frères Reclus en des termes ironiques et méprisants : « Ce que pensent les socialistes parlant français m'amuse tout particulièrement. Ils sont représentés, bien entendu, par la triste figure des frères Reclus. » Ou encore : «Elisée est un compilateur ordinaire et rien d'autre. [...] Politiquement, c'est un cafouilleux et un impuissant. »


Les convictions anarchistes d'Elisée Reclus vont encore se radicaliser lors de la Commune de Paris. Bien sûr, il suit avec passion les débuts du mouvement, avec ses frères Eliè et Paul. Devant l'attitude démissionnaire des Versaillais face aux Prussiens, les frères Reclus rejoignent un bataillon de fédérés. Mais pour Elisée Reclus, la période des combats est de très courte durée, car il est fait prisonnier dès le début d'avril 1871 et il est incarcéré en rade de Brest. Sa réputation de savant lui permet d'avoir des conditions de détention relativement favorables. Il dispose même d'une partie de sa documentation afin de poursuivre son travail.


C'est en prison qu'il négocié avec M. Templier, de la maison Hachette, son contrat pour la rédaction d'une Géographie universelle. En novembre 1871, il est Condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Cette condamnation ne passe pas inaperçue et un groupe de savants étrangers — anglais et américains— obtiennent en février 1872 du gouvernement français la commutation de sa peine en dix années de bannissement. Reclus, menottes aux mains, quitte la France pour la Suisse, où il rejoint son frère aîné qui s'y était déjà réfugié.

L'exil en Suisse et la rédaction de la « Nouvelle Géographie universelle », 1872-1894

Très vite, Reclus reprend contact avec ses amis anarchistes (Bakounine est alors à Zurich). Mais il se remet Surtout à son travail de géographe. Il a signé au cours de l'été 1872 son contrat avec la maison Hachette pour la rédaction d'une Nouvelle Géographie universelle. Il lui faut tenir cet engagement et gagner sa vie. Afin d'être en possession de l'information là plus récente, Reclus n'hésite pas à se rendre dans les pays qu'il doit décrire. 11 voyage donc énormément, s'informe auprès de ses amis géographes ou anarchistes. Quand ceux-ci conjuguent ces deux qualités, c'est l'idéal.
C'est le cas de Kropotkine. Les deux hommes se rencontrent en 1877 et resteront des amis très fidèles. Kropotkine a beaucoup aidé Reclus dans la rédaction du volume de la Géographie universelle consacré à la Russie. Ensemble, ils collaborent aussi à mettre sur pied une nouvelle orientation du mouvement anarchiste, l'anarchisme communiste, qui condamne la propriété privée : « Notre communisme n'est ni celui des phalanstères, ni celui des théoriciens autoritaires allemands. C'est le communisme anarchiste, le communisme sans gouvernement, celui des hommes libres. C'est la synthèse des deux buts poursuivis par l'humanité à travers les âges, la liberté économique et la liberté politique » (KROPOTKINE, La Conquête du pain).

Malgré l'intérêt qu'il porte au mouvement anarchiste, Reclus n'a guère de temps à y consacrer. Il écrit pourtant quelques articles, et soutient financièrement des publications anarchistes. L'essentiel de son temps va à la rédaction de la Nouvelle Géographie universelle, ouvrage colossal : 19 gros volumes. Il enseigne aussi à l'université de Neufchâtel où il donne pendant plusieurs années des conférences de géographie sur la Méditerranée. En 1879, la Chambre des députés vote une amnistie partielle qui s'applique aux frères Reclus, mais Elisée refuse de rentrer en France tant que tous les communards ne seront pas amnistiés : bel exemple de rectitude politique.

Toujours pour rédiger sa Géographie universelle, il visite l'Egypte, séjourne plusieurs fois au Maghreb, où l'une de ses filles est installée avec sa famille en Algérie ; en Espagne, au Portugal, où il consulte les archives de la colonisation de l'Amérique du Sud dans le but d'accroître sa documentation.

En 1889, il part aux Etats-Unis. Il retourne en Louisine, mais découvre surtout de nouvelles régions, les Grands Lacs, New York et il travaille aussi beaucoup en bibliothèque.

Bruxelles : le professeur, « L'Homme et la Terre »

Au cours de l'été 1890, Reclus quitte la Suisse et rentre à Paris tout en continuant à voyager énormément. Il ne séjourne que quatre ans à Paris, où d'ailleurs l'institution universitaire ne lui propose aucun poste d'enseignement. Bien sûr, il n'est pas docteur d'Etat, mais sa notoriété exceptionnelle pouvait lui ouvrir les portes du Collège de France. Il n'en est rien : on dut considérer que ce géographe de talent, mais libertaire et quelque peu original, n'avait pas sa place au sein de l'institution. Après la parution du dernier volume de la Nouvelle Géographie universelle en 1894, il est appelé par l'Université libre de Bruxelles.

En vérité, l'arrivée d'un géographe libertaire est contestée et en définitive refusée par de nombreux enseignants. Aussi Elisée, son frère Elie et quelques autres enseignants qui avaient les mêmes idées, fondent la Nouvelle Université de Bruxelles, qui coexiste d'ailleurs pacifiquement pendant vingt ans avec l'Université libre. Les professeurs ne sont pas payés par l'Etat et cette université ne reçoit aucune subvention. Aussi Reclus doit s'arranger pour gagner suffisamment d'argent avec ses publications et ses travaux cartographiques afin d'assurer des revenus à l'équipe enseignante qui travaille avec lui. Il est aussi assez absorbé par la réalisation d'un gigantesque globe en relief, car Elisée Reclus a toujours été préoccupé par les problèmes que soulève une juste représentation de la terre.

Mais surtout il consacre ses dernières forces à un ouvrage qu'il considère comme la conclusion de son oeuvre, L'Homme et la Terre, 6 tomes. Reclus le définit comme un « ouvrage de géographie sociale » dans lequel il aborde trois thèmes qu'il considère comme fondamentaux : « La lutte des classes, la recherche de l'équilibre et le rôle primordial de l'individu ». C'est une vaste fresque historique des luttes et des progrès de l'humanité depuis la Préhistoire jusqu'au début du XXe siècle. Mais c'est aussi — les deux derniers tomes — Un traité de géographie humaine générale.

Malade depuis quelque temps déjà, il meurt à ThoUrout en Belgique le 4 juillet 1905. Son neveu Paul Reclus, fils d'Elie, se chargera de veiller sur la parution des cinq derniers volumes et lui succède à la tête de l'Institut de géographie de la Nouvelle Université de Bruxelles, qui disparaît en 1914.


NOTES


1 PELLETIER Philippe (2005) : « La géographie innovante d’Élisée Reclus ». Cahiers des Amis de Sainte-Foy et sa région, 86-2, p. 7-38.
2 VIDAL DE LA BLACHE Paul (1922) : Principes de géographie humaine. « Avertissement » par Emmanuel de Martonne, Paris, Armand Colin, 296 p., p. VI.
3 LACOSTE Yves (1990) : Paysages politiques. Paris, Le Livre de Poche, p. 218 et p. 195.
4 MEYNIER André (1969) : Histoire de la pensée géographique en France (1872-1969). Paris, PUF, 226 p., p. 86.
5 GOURLAOUEN Sophie (2004) : Élisée Reclus (1830-1905) : Un géographe observateur des villes. Université de Tours, département d’Histoire, T.E.R. sous la direction de Philippe Chassaigne et Jean-Luc Pinol, 142 p.
6 Ma phrase, « Élisée Reclus a relativement peu écrit sur la ville et sur le phénomène urbain en général », est ambiguë et mal formulée. En utilisant le singulier (“la ville”, “le phénomène urbain”), je voulais parler d’une théorie générale de la ville présentée en tant que telle. En fait, on peut même reconstituer celle-ci chez Reclus en piochant dans toute son oeuvre, notamment son article “The Evolution of Cities” (Contemporary Review, 1895, n° 350, p. 246-264). Comme on le sait, Élisée Reclus, à l’instar des géographes de son temps d’ailleurs, n’aime guère théoriser. PELLETIER Philippe (1999) : “La ville et la géographie urbaine chez Élisée Reclus et à travers son époque”. Réfractions, 4, p. 17-24.
7 PELLETIER Philippe (2005) : « La « plus grande merveille de l’histoire », le Japon vu par Élisée Reclus ». Hérodote, 117, p. 183-191. JUD Peter (1995) : Léon Metchnikoff (Lev Il’ic Mecnikov) 1838-1888, Ein russischer Geograph in der Schweiz. Zürich, Oriole-Verlag, 104 p.
8 Comme : « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes », La Revue des Deux Mondes, tome 63, mai 1866, p. 351-357 et 371-377, réédité par Joël Cornuault (2002), Éditions Premières Pierres, Charenton. (Avec Élie RECLUS) : « Renouveau d’une Cité ». La Société nouvelle, 138, juin 1896.
9 RECLUS Élisée (1895) : “The Evolution of Cities”. Contemporary Review, n° 350, p. 246-264. (1905) : L’Homme et la Terre. Paris, Librairie Universelle, tome cinquième, 582 p., livre quatrième « Histoire contemporaine », chapitre II « Répartition des hommes », p. 334-376, correspondant aux p. 26-47 de la réédition partielle effectuée par Béatrice Giblin (1982), Paris, La Découverte, vol. II.
10 Présenté et traduit par CHAMBOREDON Jean-Claude et MÉJEAN Annie (1988) : « Villes et campagnes selon Élisée Reclus ». Cahiers d’économie et sociologie rurales, 8, p. 67-74. Réédité par RONCAYOLO Marcel et PAQUOT Thierry dir.(1992) : Villes & civilisation urbaine, XVIIIe-XXe siècle. Paris, Larousse, 692 p., p. 158-173. C’est à cette réédition que renvoient les références infra à L’Évolution des villes.
11 L’Homme et la Terre, tome V, livre IV, chap. II, p. 374-376.
12 L’Évolution des villes, p. 159.
13 L’Évolution des villes, p. 172.
14 L’Évolution des villes, p. 159.
15 L’Homme et la Terre, tome I, p. 116-120.
16 L’Évolution des villes, p. 168.
17 « La vie plus active, plus passionnée, s’est par contre-coup fréquemment compliquée de crises, et souvent l’arrêt se fait brusquement par la mort volontaire. Là est le côté très douloureux de notre demi-civilisation si vantée, demi-civilisation puisqu’elle ne profite point à tous. La moyenne des hommes, fût-elle de nos jours non seulement plus active, plus vivante, mais aussi plus heureuse qu’elle l’était autrefois, lorsque l’humanité, divisée en d’innombrables peuplades, n’avait pas encore pris conscience d’elle-même dans son ensemble, il n’en est pas moins vrai que l’écart moral entre le genre de vie des privilégiés et celui des parias s’est agrandi ». H&T, tome VI, p. 533.
18 L’Évolution des villes, p. 166. Cf H&T, V, p. 354.
19 Exemples rassemblés par Sophie Gourlaouen sur l’insalubrité dans la NGU : NGU, III, p. 96 ; IV, p. 399, 614, 659 ; V, p. 517, 596…
20 Réflexion morale jamais découplée d’une réflexion politique et d’un refus de l’hypocrisie : « Le vice de l’ivrognerie est une grande source de revenus pour le gouvernement anglais, à cause des droits de douane que l’État perçoit sur les spiritueux. L’Église anglicane, propriétaire de plusieurs centaines de cabarets fort bien achalandés, prend sa part de cet immense profit ». NGU, vol. IV, p. 859.
21 Reclus propose un graphique novateur comparant les parts respectivement prises par la natalité et l’immigration dans la croissance des grandes villes (européennes en l’occurrence). NGU, vol. IV, p. 508.
22 « Du sentiment de la nature… », rééd. 2002, p. 63.
23 Gourlaouen (2004), op. cit., p. 34.
24 NGU, II, p. 723. Gourlaouen (2004), op. cit., p. 43.
25 NGU I, p. 747, IV, p. 520.
26 H&T, V, p. 339.
27 H&T, V, p. 336.
28 H&T, V, p. 337.
29 L’Évolution des villes, p. 159. L’image de Babylone revient à plusieurs reprises (H&T, p. 336, 339). On sait que Reclus, élevé dans une famille protestante rigoriste puis chez les Frères moraves, dispose d’une grande culture sur la religion.
30 H&T, V, p. 336.
31 NGU, I, p. 420.
32 NGU, IV, p. 86.
33 Notamment pour la fondation de la revue L’Humanité nouvelle à partir de 1897. JULLIARD Jacques (1971) :
Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe. Paris, Seuil, Points-Histoire, 300 p., p. 99.
34 L’Endehors (1891-1893) est le nom du journal fondé par l’individualiste Zo d’Axa (1864-1930), pseudonyme du journaliste Alphonse Gallaud de la Pérouse. Ce titre est repris en 1922 par l’anarchiste individualiste E. Armand (1872-1962), pseudonyme d’Ernest Juin.
35 RECLUS Élisée (1900) : « Les colonies anarchistes ». Les Temps nouveaux, du 7 au 13 juillet, p. 1-2. Ces propos sont plus durs que dans son seul ouvrage spécifiquement anarchiste, L’Évolution, la révolution et l’idéal anarchique (1898). Dans les dernières pages de ce livre, il évoque les « tentatives d’associations plus ou moins communautaires » dont l’histoire « raconte beaucoup plus d’insuccès que de réussites », en ajoutant qu’« aucun de ces insuccès ne saurait nous décourager, car les efforts successifs indiquent une tension irrésistible de la volonté sociale » (édition Stock, 1921, rééd. p. 192 et p. 195).
36 KROPOTKINE Pierre (1896) : « Contre les communes volontaires » . Communisme et Anarchie, texte du congrès de Londres ; repris dans La Science moderne et l’Anarchie (1913), p. 152-154. Cité par : ZEMLIAK Martin (1976) : Pierre Kropotkine, OEuvres. Paris, Maspéro, 450 p., p. 41-43.
37 NETTLAU Max (1986) : Histoire de l’anarchie. Paris, Artefact, 306 p., p. 263, éd. or. 1934.
38 BOCHET François (1993-1994) : « Naturiens, végétaliens, végétariens et crudi-végétariens dans le mouvement anarchiste français (1895-1938) ». Invariance, supplément au n° 9. BAUBÉROT Arnaud (2002) : Le naturisme et la société française, histoire sociale et culturelle d’un mythe : le retour à la nature (fin du XIXe siècle, années trente). Université Paris XII, doctorat d’histoire. MAITRON Jean dir. (1977 , 1987) : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Paris, les Éditions ouvrières.
39 Il existe également d’autres publications dans la même veine à la même époque, souvent de brève existence : L’État naturel (1894), Le Naturien (1892), L’Âge d’or (1898), Le Sauvage (1898-1899), L’Ordre naturel (1905), La Vie naturelle (1907-1914).
40 MAITRON Jean (1975) : Histoire du mouvement anarchiste en France (1880-1914). Paris, vol. 1. Paris Gallimard, éd. or. 1951. Ce que confirme par exemple un propos publié par les Temps nouveaux (1896, n° 12, p. 3) : « L’opinion naturienne est ridicule ».
41 ARMAND Émile (1931) : « Le Naturisme individualiste ». L’Endehors, supplément au n° 212-213, 15 août. Armand ajoute : « Mais que cette tendance prétende représenter l’individualisme anarchiste, c’est ce qui ne saurait se concevoir ! ».
42 FUMEY Gilles (2005) : « Élisée Reclus végétarien, « étonnant géographe » du monde animal et végétal ». Élisée Reclus et nos géographies, textes et prétextes, colloque international, Lyon, septembre 2005, communication.
43 L’Évolution des villes, p. 169. Repris dans H&T p. 362.
44 H&T, V, p. 364. Cf. L’Évolution des villes, p. 170 : « L’histoire les [= les municipalités] prévient que la maladie n’épargne personne et qu’il est dangereux de laisser la pestilence dépeupler les taudis accolés aux palais ».
45 H&T, V, p. 367. Dans L’Évolution des villes, ce passage est : « Cependant, même si le riche entrepreneur et le mécène officiel étaient toujours des hommes d’un goût cultivé, les villes présenteraient un affligeant contraste entre le luxe et la crasse, entre la somptueuse et insolente splendeur de quelques quartiers ». L’Évolution des villes, p. 170.
46 H&T, V, p. 367.
47 H&T, V, 4, II, p. 367.
48 H&T, V, p. 368.
49 H&T, V, p. 370. Cf. L’Évolution des villes, p. 170 : « De ce point de vue, la question architecturale et immobilière est indissociable de la question sociale dans son ensemble ».
50 Il évoque « les jardins, les bois, les forêts, « poumons » de Paris ». NGU, II, p. 731. Est-ce l’une des premières occurrences de cette expression de « poumon » pour la verdure en ville ?
51 C’est en 1898 qu’Ebenezer Howard (1850-1928) publie son célèbre projet de cités-jardins : Tomorrow : a peaceful path to social reform, réédité en 1902 sous le titre de Garden Cities of Tomorrow.
52 H&T, V, p. 371.
53 RECLUS Élisée et Élie (1896) : « Renouveau d’une cité ». La Société nouvelle, 138, juin.
54 « Du sentiment de la nature… », rééd. 2002, p. 61.
55 Gourlaouen (2004), op. cit., p. 93 et suivantes.
56 L’Évolution des villes, p. 172.
57 L’Évolution des villes, p. 173. C’est la conclusion de l’article.
58 L’Évolution des villes, p. 171.

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